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Une douce éviscération

Quand l’infidélité s’immisce dans le couple parfait.

Anabel Cossette Civitella | Le Délit

Le titre peut être trompeur pour ceux qui recherchent l’horreur et le carnage. La pièce Éviscérer, écrite par Jocelyn Roy, n’est pas aussi sanglante et dure que l’image qu’évoque son titre. « On ne voulait pas faire du Dave Saint-Pierre, avec des « tous-nus » et du sang », signale d’ailleurs Monsieur Roy, qui se dévoue au théâtre depuis 2001.

Dans cette pièce à la trame dramatique, on explore la dérive d’un couple « parfait » (appellation certifiée par les amis des deux protagonistes) qui s’entre-déchirent tandisque l’homme eut non seulement trompé la femme, mais le lui eut avoué.

Bête idée qu’il a eu de craquer face aux avances d’une stagiaire du bureau où il travaille, une petite coquine qui lui tournait autour depuis quelques temps déjà. Après une soirée bien arrosée, ce qui devait arriver arriva. Zack (Karl Farah) ne sait pas vraiment pourquoi, mais il fait « comme tous les gars qui trompent leur blonde » et décide de suivre la jeune stagiaire affriolante dans son appartement. Une niaiserie qui va tout foutre en l’air dans la vie de Zack, qui n’en dort plus. Comme si c’était une scène de crime, il se souvient précisément de l’heure à laquelle il est entré et celle à laquelle il est sorti de chez la fille pour qui il n’a, d’ailleurs, aucun sentiment. « Ma vie décâlissée pour 24 minutes », confie-t-il à son ami Franck.

Une semaine à se morfondre, à ruminer, suffit pour le décider : il avoue finalement sa faute à Ariane (Isabelle Giroux). De toute façon, ce n’est qu’une niaiserie, une baise d’un soir sans importance. Mais Ariane ne le digère pas. « Ce n’est pas que tu as couché avec une autre fille, le problème. C’est le fait que tu es trop lâche pour me l’avoir caché », lui lance-t-elle, brisée. Zack aussi est brisé. Et, avec eux, le couple est brisé.

L’auteur Jocelyn Roy avait tout d’abord construit sa pièce sur une longue ligne continue, avec des décors et tous les éléments théâtraux habituels. Après des mois d’écriture et de relectures, il en est arrivé à une version épurée côté décors et plus complexe au niveau de la trame narrative. Du très bon travail, surtout grâce à la scénographie minimaliste qui donne à une baignoire (campée au centre de la petite scène de la salle La Balustrade, dont la capacité maximale n’excède pas 50 personnes) le rôle de table de cuisine, table de billard et de divan.

Au chapitre des bonnes idées, il y a aussi les personnages des deux amis, qui conseillent et commentent le gâchis du couple. L’ami de Zack s’appelle Franck (Joseph Martin) et incarne le gros-macho-drôle-mais-pas-propre-qui-traite-les-femmes-comme-des-objets. L’amie d’Ariane, Geneviève (Isabelle Bossé), joue l’excentrique qui roule les yeux et qui admet avoir consommé pas moins de 200 mâles. Tous deux ne sont évidemment pas les meilleurs conseillers, mais font office de confidents fidèles et leurs commentaires détendent une atmosphère empoisonnée par le thème de l’infidélité.

Assurément, traiter d’un sujet millénaire comme la tromperie n’est pas une mince affaire car les clichés y font surface à tout moment. Jocelyn Roy n’excelle pas plus qu’un autre en la matière, certains passages et dialogues sont empreints de lieux communs. Mais peut-être est-ce cela que l’amour et la trahison : chaque couple pense qu’il refait l’histoire alors que c’est chaque fois la même chose.

L’auteur réussit, en tous cas, à faire monter la tension dans la salle de manière à piéger l’auditoire. Adressée à la foule, une phrase comme « Qui ici n’a jamais trompé son chum ou sa blonde ? » plonge même les plus irréprochables dans une litanie de questionnements sur ce que signifient les malströms du sexe, de l’infidélité et de l’amour.

Doit-on en conclure que la fidélité est impossible ? Peut-être. La fin ouverte d’Éviscérer nous laisse ici le bénéfice du doute ; l’essentiel réside dans le fait de poser la question.


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