Aller au contenu

L’indépendance des indépendants

« La vraie information est celle qui n’est pas filtrée par de grosses sociétés », lance aux États Généraux du Journalisme Indépendant Dru Oja Jay, journaliste anglophone, auteur et co-fondateur de Média Co-op. Les États Généraux organisés par l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ) se sont déroulés le samedi 28 septembre et avaient pour but de rendre compte de la réalité des journalistes indépendants en 2013 au Québec. Beaucoup de lieux communs ont été ressassés lors de cette journée de discussions, et de réels enjeux ont aussi été débattus. Des tables rondes sur différents thèmes ont aussi eu lieu, animées par des journalistes ou des professeurs d’université.

 

Impartialité vs réalité 

En premier lieu, comme l’introduit Oja Jay, il est question de l’indépendance des médias. Dans un Québec où le métier de journaliste est plongé dans la précarité, beaucoup se voient contraints d’écrire des articles promotionnels, dits de rédaction, pour subvenir à leurs besoins. Faut-il alors discerner le journaliste du rédacteur ? En effet, au Québec aujourd’hui, les différences entre ces deux notions s’amenuisent inévitablement.

D’après l’article 2.1.3 des « Droits et Responsabilités de la Presse », publié par le Conseil de Presse du Québec, tous les journalistes se doivent « d’éviter les conflits d’intérêts […] ou toute situation qui risque de les faire paraître en conflits d’intérêts ». L’impartialité est donc, en principe, intrinsèque au métier. Mais malgré le désir d’indépendance de beaucoup de journalistes à la pige, ceux-ci se retrouvent souvent déchirés entre survie financière et respect du code déontologique.

« Est-il possible de signer de son nom de journaliste un cahier spécial du Devoir financé par des entreprises ? » se demande une journaliste débutante sous couvert d’anonymat. Elle explique se faire souvent dicter le choix des intervenants, sans même se voir préciser la source de financement de l’article. Une autre journaliste scientifique raconte avoir été sollicitée à plusieurs reprises par des universités pour publier des articles sur leurs recherches, avant de se rendre compte qu’il s’agissait d’en louer les résultats. Telles sont les pratiques susceptibles de compromettre la confiance que le public accorde à la presse.

Pourtant, « être rédacteur ne signifie pas vendre son âme », précise une autre journaliste. Celle-ci estime que son travail de rédactrice est « valorisant » et qu’il consiste, dans son cas, à prendre parti contre l’extraction des hydrocarbures dans le nord du Québec. Se positionner oui, mais à quelles fins ?

 

Un recours légal ? 

Malgré le fait que le pigiste n’est pas voué à être l’esclave des entreprises de presse, son autorité légale n’est pas officielle. Nicolas Langelier, ancien président de l’AJIQ, propose de fournir un socle légal aux journalistes indépendants, en insistant sur la nécessité de « négocier collectivement ». D’ailleurs, lors de l’atelier « Négocions ensemble », les participants se sont déclarés, à l’unanimité, en faveur d’une forme de syndicalisme. Une fois ceci mis en place, un porte-parole défendrait de meilleures conditions pratiques, rendues possibles par un soutien économique. La notion de salaire « plancher » a notamment été mentionnée lors de l’atelier, évoquant la possibilité de fixer une rémunération minimum par article. La presse serait ainsi libérée de toute pression financière et le lectorat aurait accès à une production de meilleure qualité, dont l’intégrité morale ne serait pas remise en question. De plus, elle rentrerait en compétition avec les travaux de rédaction, qui, quoi que volontairement biaisés, continuent à payer considérablement plus. Les journalistes pourraient ainsi mieux vivre de leur indépendance.

Une autre des facettes de cette « négociation collective » vise à la sensibilisation, non seulement des journalistes, mais aussi du public et des institutions politiques. Si aucune mesure officielle n’a été prise jusque-là, tous portent leur regard sur l’imposition légale d’un code déontologique commun aux entreprises de presse et aux journalistes. Forçant la morale au niveau institutionnel, ceci éviterait les conflits d’intérêt d’un contrat à l’autre.

Lors des États Généraux, les journalistes présents ont décrit la situation actuelle de leur métier comme alarmante. Toutefois, ensemble ils affirment être prêts à s’organiser, pour collectivement réécrire leur avenir.

Pour rendre l’intégrité des journalistes visible au lectorat, Le Délit propose avant tout l’établissement d’une étiquette « d’indépendance », qui confirmerait par un signe l’impartialité d’un article. Cette étiquette serait accordée en fonction de la source des financements et selon l’autonomie dont jouit le journaliste au moment de l’écriture de son texte. Cette mesure, émise par une instance gouvernementale et mise en vigueur par une loi, inaugurerait une nouvelle aire du journalisme au Québec.


Articles en lien