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Coup de foudre chinois

Exposition d’art contemporain à l’Arsenal

Zhang Huan (gracieuseté de l'Arsenal)

L’expression est tellement utilisée qu’elle en a presque perdu de son sens ; néanmoins, il demeure que l’art contemporain chinois est « en plein boum ». Depuis l’ouverture économique de la République populaire de Chine au reste du monde avec Deng Xiaoping à la fin des années 1970, et malgré les formes variées de censure et de répression politique, la Chine a connu une explosion de créativité en matière de production artistique et de marché de l’art. Un soudain intérêt de la part des investisseurs, collectionneurs et amateurs pour l’art contemporain chinois commence à se manifester dès le début des années 2000, avec l’émergence d’artistes tels qu’Ai Weiwei dotés d’une renommée internationale grandissante. Les ventes aux enchères en particulier sont la manifestation la plus frappante de la popularité de l’art contemporain chinois auprès d’une foule à la fois chinoise et étrangère. On assiste à un « effet de levier incroyablement rapide (moins de 10 ans) sur la cote des artistes [chinois], [qui] propulse cinq artistes chinois dans le Top10 des artistes contemporains vendus aux enchères cette année » affirme le rapport annuel ArtPrice 2012.

Différentes manifestations de cette popularité croissante se font sentir un peu partout dans les grandes capitales mondiales de l’art, à travers les expositions et les foires d’art contemporain, doublées d’une attention médiatique forte. Montréal ne déroge pas à la règle et propose avec Coup de foudre chinois à la galerie l’Arsenal la deuxième exposition consacrée à l’art contemporain chinois en l’espace de trois ans, après Drapeau Rouge au Musée des Beaux-Arts en 2011. Pia Copper, commissaire de l’exposition et ancienne étudiante de McGill, explique au Délit qu’un tel événement est « une occasion de faire venir l’art international, chinois en ce cas précis, au Canada […] Il semble qu’il y a peu d’expositions d’artistes venus d’ailleurs ».

Montréal rattrape le temps perdu avec cette exposition, qu beaux degats i présente 37 œuvres et 17 artistes. Dans une galerie aussi impressionnante que l’Arsenal (un ancien bâtiment de chantier naval reconverti qui rappelle par bien des aspects le fameux Espace 798 à Pékin), on est frappé par la synergie qui opère entre les œuvres et leur environnement. En particulier la Miss Mao des Gao Brothers, gigantesque statue en acier inoxydable placée au centre de l’espace, qui amuse et interpelle par sa langue tirée, ses dents de loups et sa poitrine proéminente, et offre à l’immense salle un repère figé.On est fasciné par les photos saisissantes de Zhan Huan, le drapeau américain tissé de poils humains de Gu Wenda, et les messages politiques relativement explicites des œuvres de Chang Lei et He Yunchang. Il aurait pu paraître risqué de tenter d’aborder une thématique aussi large que l’art chinois contemporain en une seule exposition, mais parce qu’elle fonctionne davantage comme une introduction, elle est accessible à tous. Des textes explicatifs et très pertinents accompagnent les œuvres, fournissant à la fois des explications sur leur sujet, les intentions de l’artiste et le contexte socio-culturel.«On a dit que la décennie 1990–2000 était chinoise, tout comme celle de 1920–30 était Parisienne, 1960–70 New Yorkaise, 80 British etc. », explique Pia Copper. « Les artistes chinois ont démontré qu’ils avaient des choses à dire et à rajouter à l’art contemporain ». Ceux-ci ont souvent un regard très critique sur leur pays d’origine, qu’il leur arrive bien souvent de quitter, et ils illustrent la plupart du temps à travers leur travail les mutations de la société chinoise contemporaine : l’exorcisation du passé à travers des images grotesques et humoristiques de Mao Zedong (comme la Miss Mao des Gao Brothers), les inégalités sociales qui se creusent (les photographies de Han Bing), la censure politique (celles de Zhang Huan), mais aussi les enjeux et limites de la mondialisation ou encore la politique de l’enfant unique.En plus d’être extrêmement didactique et accessible, l’exposition combine des artistes reconnus à des œuvres célèbres (notamment Gu Wenda, l’un des « pères fondateurs », Zhang Huan et les Gao Brothers, véritables stars du marché de l’art) et talents en devenir. La variété des supports illustre l’abondance et la diversité de la production artistique contemporaine chinoise. Les œuvres présentées sont toutes aussi intéressantes les unes que les autres dans le sens ou elles abordent toutes des questions culturelles, sociales, politiques et identitaires bien spécifiques. La proximité de Pia Copper avec ces artistes a facilité la mise en chantier de l’exposition : «[J’en connais] certains depuis plus de quinze ans, dont Cang Xin, d’autres depuis dix ans, comme Qiu Jie, Gao Brothers… C’est une merveilleuse occasion de réunir des générations d’artistes pour parler de ce qui se passe en Chine, autant en politique que dans la société ». Certains artistes ont même créé des œuvres spécialement pour l’exposition.

Ce qui est formidable dans le travail des artistes chinois contemporains, c’est l’accessibilité de leurs messages et les possibilités d’interprétatios multiples. L’exposition de Pia Copper, en plus d’être déjà un grand succès auprès du public montréalais, joue sur cette accessibilité et offre une brillante introduction à la Chine et à sa situation artistique du moment.


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