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L’islamophobie

Une gangrène provinciale

« Dans un bus à Toronto, une femme dans le bus me dit de « rentrer d’où je viens, que je n’appartient pas à ce pays ». Son voisin répond que j’appartiens autant à cette ville que tous les autres. » Quand tout le bus applaudit, Trisha se dit qu’elle a bien fait de quitter la Nouvelle-Orléans pour venir au Canada. Aujourd’hui présidente de l’Association des Étudiants Musulmans de McGill (MSA), Trisha se dit fatiguée de parler d’islamophobie. Nadia Del, membre de l’association et élève de McGill, renchérit : « On nous demande trop souvent de nous justifier ».

L’islamophobie et le nationalisme québécois
Gilles Bourque, professeur de sociologie à l’UQAM, a discuté la source de l’islamophobie dans le cadre du nationalisme québécois. L’identité nationale québécoise s’est formée à travers les lignes de démarcation de la religion et de la langue. Le nationalisme canadien français propose donc l’existence d’une « nation » canadienne-française et catholique, en opposition avec les anglo-canadiens et protestants. Pour faire partir du groupe, il faut parler français et être catholique. L’islamophobie n’était pas à l’ordre du jour.
Aujourd’hui, s’il n’y a plus d’identité nationaliste concrète, elle garde les traits du nationalisme d’antan. Si la ligne de démarcation reste majoritairement la langue, c’est toujours dans une moindre mesure également lié à la religion.
La révolution tranquille a marqué un moment crucial de la modernité au Québec. Le nouvel état créé à cette époque défend la langue française mais aussi les droits d’égalité. Cela s’accompagne d’un très important rejet du catholicisme comme lieu du pouvoir. Durant les années 50, la ritualisation de l’Eglise se fait de plus en plus forte, et l’Eglise et la religion deviennent de plus en plus en porte-à-faux par rapport au développement du pays. Pour le nationalisme québécois, l’islamophobie est, selon Gilles Bourque, une crainte de la religion en général. Les symboles musulmans rappellent le temps du catholicisme tout-puissant.
Dans une entrevue avec Le Délit, Trisha Islam explique que « c’est comme si le conflit avec la région du Québec était plus un conflit avec le traditionalisme. Les signes religieux font partie d’un passé avec lequel le Québec ne veut plus s’associer. Cela est vraiment problématique parce que beaucoup de musulmans au Queéec se considèrent modernes tout en étant musulmans ».
De plus, quand on regarde les lois que le Parti Québécois propose contre le port de signes religieux dans les espaces publiques, il est évident que la cible est l’islam plutôt que les religions en général. Le discours de la crainte de la religion en général semble être une justification de l’islamophobie plus que d’autre chose.
Comme le dit Léa (ce nom a été changé), étudiante à McGill, « je reconnais que le sécularisme vise aussi d’autres communautés. Mais les lois sont tellement spécifiques qu’elles visent évidemment les musulmans (par exemple le voile). Ça n’a jamais été fait dans le passé récent, de viser particulièrement une communauté. Je vois cela comme étant contre les musulmans. Par exemple, certaines fêtes sont clairement basées sur la religion chrétienne, et il y a toujours la croix sur le Mont-Royal. »
Quant à Trisha Islam, son plus gros problème avec la sécularisation, c’est que quand le gouvernement demande à ses citoyens d’enlever les symboles religieux visibles, celui-ci donne l’impression que les citoyens ne devraient pas apprendre à se connaître les uns les autres. 

L’islamophobie et les femmes
Marie Blanche Tahon, professeur de sociologie à l’Université d’Ottawa, travaille sur l’égalité entre l’homme et la femme dans la perpétuation de l’islamophobie au Québec.Souvent, la liberté de religion est limitée au nom de l’égalité entre les sexes, et vise particulièrement l’islam. Cela a été fait dans les débats qui ont entouré la charte de laïcité du parti québécois et dans le Conseil du Statut de la Femme (CSF).
Selon Tahon, la CSF voit l’égalité entre les hommes et la femme comme une valeur collective qui n’est pas seulement québécoise. Malgré le fait que les inégalités entre hommes et femmes soient toujours d’actualité au Québec, on a tendance à montrer en exemple l’image de la femme occidentale.
Le Manifeste du CSF, qui a été publié dans Le Devoir le 8 mars passé (Manifeste – Halte aux attaques contre les droits des femmes par Michel Sarois), appelle à la protection des droits des musulmanes. Le manifeste se termine en demandant aux hommes et aux femmes de toutes origines de protéger les acquis. Mme Tahon reproche à ce discours d’être intolérant vis-à-vis du port de signes religieux. Se positionner sur le port du voile s’apparenterait-il à un désir de contrôle du corps ? En effet, c’est refuser que les femmes s’habillent comme elles veulent. Les femmes musulmanes ne sont pas des femmes soumises. La CSF serait-elle une instance qui vise à contrôler les femmes ? Comme le dit Nadia Dal, membre de l’Association des Étudiants Musulmans de McGill, « décider pour nous, ce n’est pas la liberté, c’est juste un autre ensemble de règles. On choisit de suivre notre religion parce qu’elle nous amène la paix ». Trisha raconte au Délit que « ca devient tres problématique quand on reporte sa manière de voir le monde sur quelqu’un d’autre. De lui dire « c’est comme ca que tu dois vivre ta vie : tu n’as pas été libérée ». »
L’islamophobie est donc justifiée par des idées qui généralisent la condition de la femme musulmane et qui voient la femme musulmane comme une personne devant être protégée de sa religion. Dans ce genre de discours, on oublie que toutes les décisions que les musulmans prennent ne sont pas faites par leur groupe.
Les femmes musulmanes, et surtout celles qui portent le hijab, sont particulièrement visées et affectées par l’islamophobie. Léa raconte que, en tant que femme qui porte le hijab, elle sent que lorsqu’elle porte un signe visible de sa religion, elle est souvent la cible de haine ; elle doit souvent subir des questions sur les raisons pour lesquelles elle porte le hijab. De plus, elle raconte que souvent, en tant que femme musulmane qui porte le hijab, elle ne sait jamais pourquoi les gens la regarde. « Ont-il peur ? Vont il me faire du mal ? En plus, parfois l’islamophobie n’est pas bégnine. Les femmes musulmanes qui portent le voile deviennent des cibles et sont cataloguées en vertu de leur habit. J’ai l’impression que je dois toujours être vigilante, ne sachant jamais comment les gens vont réagir par rapport à nous. C’est un peu épuisant ».

L’islamophobie dans les médias
Les médias ont eux aussi un rôle dans la perpétuation de l’islamophobie au Québec. Jean-Claude Leclerc, journaliste du Devoir, explique que les médias exploitent la peur de leurs lecteurs, et cela augmente des phénomènes tels que l’islamophobie. Par exemple, en juin dernier, le conseiller du village d’Hérouville en Mauricie André Drouin a demandé au Premier ministre de déclarer « l’état d’urgence » pour protéger la culture québécoise contre l’arrivée des musulmans alors qu’il était invité à l’émission de Radio-Canada « Tout le monde en parle ». Leclerc pense que de telles apparitions perpétuent la peur de l’Islam. Un autre exemple serait les interventions du leader du parti Action démocratique du Québec, Mario Dumont, qui se plaît à créer la polémique sur les minorités. Donner de l’importance à ce genre de personnage manipule les peurs collectives.
Malgré le fait que la charte québécoise des droits de la personne possède une clause sur le droit du public à l’information, il n’y a pas des loi spécifique pour garantir la qualité de l’information. Selon LeClerc « on est donc dans un désert d’information solide dans la moitié du Québec ». La solution, selon LeClerc serait de reconstituer l’autonomie des salles de rédaction.
Nadia Del raconte au Délit qu’elle ne suit pas les médias du Québec parce que si elle le faisait, elle se sentirait tout le temps sur la défensive, et elle préfère ne pas y penser. Pour elle, même si les médias couvraient les choses de manière différente, ça ne changerait pas grand chose par rapport à l’islamophobie, les gens ne liront pas. Selon elle, le changement serait plus grand si les gens sortaient de leur zone de confort, qu’ils essayaient de rentrer en contact avec des gens qui sont différents d’eux.
Léa déplore le fait que « les médias canadiens sont obsédés par les histoires de meurtres. Je voudrais qu’ils ne mettent pas l’accent sur des cas si rares, mais qu’ils parlent plus de notre réalité. Je ne vois pas vraiment les femmes musulmanes dans les medias, sauf si c’est la femme d’un terroriste. Il n’y a pas de docteurs, de professeures, alors que c’est notre réalité. Je trouve ça étrange ; les minorité ne sont pas bien représentées dans les médias. Il n’y a pas d’espace qui nous permet de parler de notre réalité ».

À McGill

McGill, bien qu’elle soit une des meilleures universités d’Amérique du Nord, où la proportion d’étudiants internationaux est très importante et où la diversité est une des fiertés de l’établissement, n’échappe pas à l’islamophobie. En effet Moe Nasar a vu son poster de campagne de candidature au Sénat de la Faculté des Sciences défiguré par l’inscription « Terroriste ».
Si l’islamophobie existe sur le campus, selon Trisha « à Mcgill on peut être nous-même. On peut s’exprimer comme des individus, indépendamment de nos religions ».
En revanche, Léa trouve que les espaces sur notre campus devraient prendre en compte les musulmans pratiquants. Par exemple, il y a des musulmans qui ne boivent pas et ne peuvent pas participer au frosh. Ce ne devrait pas revenir aux associations étudiantes musulmanes de mettre en œuvre des événements complètement séparés. Des efforts devraient être faits pour inclure les musulmans dans le mainstream. Les résidences devraient aussi inclure la sécurité des musulmans dans les espaces sécuritaires. 


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