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Avancer vers l’arrière

Portrait d’un papabile québécois qui fait reculer l’Église

Alors que le Vatican s’ajuste péniblement au rythme effréné du conclave, plusieurs Québécois attendent fébrilement de voir émaner de la cheminée de la Chapelle Sixtine une fumée blanche annonçant l’élection d’un pape bien de chez nous. Comme en font foi les nombreux reportages complaisants présentés au sujet du controversé cardinal Marc Ouellet dans les médias québécois, celui-ci est récemment passé du statut de figure de proue obscure d’une institution démodée à celui d’étoile montante de notre modeste star-système.

À l’exception des retombées d’une offensive médiatique plus ou moins improvisée de la part de divers regroupements de victimes de prêtres pédophiles, le traitement accordé au cardinal Marc Ouellet dans la presse québécoise a été étrangement conciliant. Des quotidiens les plus sérieux aux magazines normalement consacrés au commérage, aucun média n’a pu résister à la tentation de passer outre les prises de position controversées du primat de l’Église canadienne pour mieux mettre de l’avant le récit de l’histoire charmante d’un « petit gars de l’Abitibi » qui s’apprête peut-être à ne rien changer du tout du Monde tel que nous le connaissons.

 

Une jambe cassée

Comme l’a très justement fait remarquer Patrick Lagacé, chroniqueur à La Presse, dans une chronique publiée la semaine dernière, l’unique entrevue télévisée accordée par notre papabile depuis l’intensification des spéculations le concernant a été consacrée à des questions à la fois légères et complaisantes. Plutôt que d’interroger le cardinal sur les controverses de fond qui ébranlent l’Église catholique, la chef d’antenne de Radio-Canada Céline Galipeau s’est contentée d’écouter docilement l’ancien évêque de Québec s’étendre en long et en large sur des banalités.

Peu intéressés par l’approche de la théologie préconisée par notre aspirant pape, les médias d’ici se sont plutôt attardés à la découverte de son patelin d’origine de La Motte. Les uns après les autres, les tabloïdes québécois ont présenté des images du jeune Marc avec ses boucles blondes, prenant généralement soin d’accompagner le tout d’une longue entrevue avec sa maman. Toutefois, rien n’a fait couler plus d’encre que la fameuse patinoire « sacrée » sur laquelle le futur papabile s’est jadis cassé une jambe, emportant par le fait même son rêve d’intégrer un jour l’alignement des Bruins de Boston. C’est d’ailleurs ce premier « miracle » qui lui a permis de découvrir sa nouvelle vocation sacerdotale.

Rares sont les médias qui prennent soin de souligner l’étrange chronologie des événements. Dans le Québec de la Révolution tranquille, au moment même où les jeunes de l’Amérique du Nord et de l’Europe luttaient contre la guerre au Vietnam, les dérives du capitalisme et la ségrégation, l’enfant prodige de La Motte, lui, entendait l’appel de Dieu pour la première fois.

 

Théologie de la libération

Tandis qu’un courant de fond emportait déjà la jeunesse québécoise loin des bancs d’église, le Vatican lui-même se trouvait en pleine ébullition. Le concile Vatican II, qui s’est déroulé entre 1962 et 1965, devait faire entrer l’Église catholique dans l’ère moderne en évoluant vers une pratique de la foi moins rigide et mieux ancrée dans les sociétés où elle s’implante. Paradoxalement, Marc Ouellet doit son ascension à son opposition farouche à cette infusion d’un certain idéal progressiste dans le catholicisme. En effet, celui que l’on félicite aujourd’hui pour son travail de missionnaire en Amérique du Sud a consacré sa carrière dans la région à la lutte contre la « théologie de la libération », un courant d’inspiration marxiste qui prônait une attention particulière de l’Église à l’égard des pauvres et un plus grand soutien pour les populations opprimées par le colonialisme et le pouvoir de l’argent.

Dans un monde catholique dont le cœur ne bat désormais nulle part aussi fort qu’en Amérique Latine et en Afrique, Marc Ouellet continue de se montrer résolument hostile à tout ce qui est susceptible de briser le mur qui sépare aujourd’hui le croyant des structures de l’Église. En d’autres mots, le cardinal québécois consacrerait probablement son pontificat à condamner les efforts de ceux qui cherchent à provoquer l’avènement d’une Église à hauteur d’homme.

À l’échelle du conclave, le jeune cardinal Marc Ouellet est un véritable vieux de la vieille pour qui toute forme de progrès peut être assimilée à une perversion de la volonté de Dieu. Ainsi, il ne faut pas se surprendre que celui-ci ait su tisser sa toile jusqu’à en arriver à devenir l’homme de main de Benoît XVI, un pape conservateur dont le pontificat écourté a notamment été marqué par des déclarations incendiaires et franchement dangereuses concernant l’utilisation de moyens de contraception en Afrique.

 

De désordre spirituel

Marc Ouellet lui-même ne se cache qu’il s’inscrit dans un courant d’opposition aux avancées de Vatican II et aux idéaux progressistes émanant de l’Amérique Latine et de l’Afrique. Par ailleurs, celui-ci tient aussi mordicus à une interprétation des textes religieux qui rejette l’avortement pour les femmes qui ont été violées et qui qualifie l’homosexualité de « désordre objectif ». Finalement, à l’apogée du scandale des prêtres pédophiles, le même Marc Ouellet qui refuse systématiquement d’entendre les victimes qui cognent à sa porte pour obtenir réparation s’est déplacé en Irlande pour demander pardon à Dieu au nom du pape Benoit XVI. Voilà qui complète le portrait d’un homme qui, obnubilé par son propre cheminement spirituel, a fait l’erreur d’en oublier les Hommes.

Tandis que bon nombre de Québécois espèrent secrètement assister à la nomination d’un pape de chez nous, beaucoup ignorent encore tout de cet homme et des projets qu’il entretient pour l’Église catholique. Au delà de l’innovation que représenterait l’accession à la papauté d’un cardinal de la région des Amériques, le pontificat de Marc Ouellet marquerait certainement un grave retour en arrière et un lamentable déni des valeurs auxquelles les Québécois sont attachés.


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