Aller au contenu

Une décision que l’on n’attendait plus

Et sion parlait d’injustice légale ?

Le rideau est tombé il y a peu sur l’acte final d’une épopée juridique et humaine sans pareille : le recours collectif de milliers d’Indigènes équatoriens et amazoniens contre la pétrolière américaine Chevron-Texaco.
L’histoire commence en 1993 quand un groupe d’avocats équatoriens déposent plainte à New York contre les activités de Chevron-Texaco dans leur pays : des rejets polluants délibérément non contrôlés ayant causé la destruction de centaines de milliers d’hectares de l’Amazonie équatorienne et de graves impacts sur la santé de 30 000 personnes. En 2003, le procès commence, et malgré l’avantage écrasant de Chevron-Texaco en ressources économiques et humaines, la justice équatorienne rend un jugement en janvier 2011, qu’elle a confirmé la semaine passée : coupable. L’entreprise doit payer 19,2 milliards de dollars, soit le dédommagement le plus élevé de l’histoire de l’humanité.
Récapitulons : 50 ans après ses débuts, une des plus grandes catastrophes du siècle est finalement condamnée, mais au prix de dégâts environnementaux, sanitaires, économiques et sociaux irréversibles. Certes oui, le jugement et l’amende sont historiques. Cependant, peuvent-ils réparer l’irréparable ? Manifestement non, et c’est donc notre devoir de discuter de la façon de prévenir pareilles catastrophes.
Nous nous sommes dotés, collectivement et internationalement, d’outils juridiques pour protéger les plus vulnérables : les minorités linguistiques, ethniques, religieuses, les plus défavorisés socio-économiquement, ou les victimes d’abus de pouvoir. Le Québec a sa Charte des droits et libertés de la personne ; le Canada a sa Charte des droits et libertés, et à l’international, il y a une foule de documents divers, dont la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948.
Évoquons une autre catégorie de vulnérabilité : celle de la diversité biologique et de ses composants, la « Nature », si vous préférez. Peut-on s’entendre sur le fait que l’augmentation de notre pouvoir de production ne vient pas avec celle de notre savoir agir ? Aujourd’hui, il ne s’agit plus d’essayer de conquérir Dame Nature, mais bien de ne pas la détruire.
Si on s’est doté d’instruments comme les droits humains, c’est parce qu’on a postulé que les êtres humains ont des droits, car ils sont des sujets de droit.
Si Dame Nature avait eu des droits, et qu’il n’avait pas fallu attendre que les enfants des Indigènes de l’Équateur et de l’Amazonie meurent ou deviennent gravement malades une fois adultes, la catastrophe aurait-elle pu être arrêtée plus tôt ? Aurions-nous dû attendre janvier 2013 pour une histoire qui a commencé en 1964 ?
Quand Texaco s’est retiré de l’Équateur en 1992, il y a laissé 60 millions de litres de pétrole et 68 000 millions de litres d’eaux toxiques, répandus dans l’écosystème amazonien. Sans parler des millions de mètres cubes de gaz brûlés à l’air libre. Et comme le précise le jugement, il ne s’agissait pas d’un accident, mais d’une détermination à faire des économies. Mes maigres connaissances d’étudiant en droit ne me permettent pas de déterminer affirmativement quelle aurait été la meilleure solution, mais il est certain que la flagrante vulnérabilité de la diversité biologique appelle à un changement dans notre conception de la relation humain-nature. Peut-être faut-il protéger la Nature en tant qu’entité vulnérable, et lui donner une voix.
Dans certaines projections du droit contemporain, la planète devient elle-même un sujet de droit. Autrement dit, elle a des droits, que nous devons respecter. Certains ont proposé d’accorder des droits à la nature en général, et d’autres vont jusqu’à le proposer pour les arbres, rivière, et les océans. Je ne peux dire qui a raison, faites-moi plaisir : pensez‑y très sérieusement. Les textes du droit de l’environnement sont abondants et renforcent le filet de protection de l’environnement. Malgré tout, il doit souvent céder devant des contraintes sociales et économiques et apparaît comme un droit secondaire. La question de savoir si on devrait ériger la Nature comme sujet de droit en soulève quantité d’autres. Qui pourrait la représenter ? Comment réparer les préjudices causés par l’atteinte à ses droits ?
L’espoir, tout de même, subsiste : les 30 000 victimes ont décidé que l’argent ne serait pas partagé individuellement et servirait la collectivité. Ainsi, la majeure partie ira à la réparation de l’environnement. Le reste ? Aux hôpitaux, aux écoles, à l’approvisionnement en eau potable.
Si l’idée que pour avoir une écologie qui se respecte, il faut faire de la diversité biologique un sujet de droit à part entière, si cette idée peut sembler saugrenue, ou même absurde, rappelons-nous du temps où la même chose se disait de la démocratie et du droit de vote des femmes.


Articles en lien