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Une valse multicolore

Marie Béland signe une chorégraphie déroutante

Le public ne s’attend pas à un tel spectacle ; Bleu-Rouge-Vert est une expérience incongrue et déroutante où un humour absurde se mêle à une modernité agressive. On a l’impression d’assister à un jeu intime où trois joueurs, à la fois niais et féroces, se dominent, s’affrontent, s’attirent et se repoussent comme des électrons trop libres. Toutes les possibilités de relations qu’il peut y avoir entre eux sont filmées pour être examinées sur un écran installé sur la scène. Tour à tour amis, amants, amoureux, parents, les personnages envahissent les espaces personnels les uns des autres pour ensuite battre en retraite, le visage stoïque, loin de toute proximité émotionnelle. La chorégraphe souhaite désarticuler le quotidien ; ainsi, de nombreuses conversations banales sont rejouées dans le désordre. Notre vision du normal est morcelée, à la façon du titre : Bleu-Rouge-Vert.

 

Danse et numérique

Le spectacle représente un monde social où tout est enregistré numériquement, des actions du quotidien jusqu’aux photos et aux conversations intimes. L’exagération grotesque de ces moments de la vie de tous les jours vient souligner le vide que la surabondance d’informations, d’écrans, d’idées, tente de dissimuler. Au sein de cette cacophonie humaine et numérique, les messages se confondent à force de se répéter, les identités se brouillent à trop s’affirmer et les opinions deviennent floues lorsqu’elles sont criées à tout bout de champ.

Tout en étant moderne et presque excessivement anticonformiste, le spectacle reste malgré tout divertissant. Le spectateur est souvent entre le rire et l’inconfort. Les acteurs agissent tels des clowns exposés sous tous les angles des nombreuses caméras présentes sur scène. Dans un monde où le silence signifie la mort, ils cherchent frénétiquement à combler la scène de bruits, d’images et de mouvements. Ils utilisent ainsi toutes les possibilités des micros, des caméras, et des divers accessoires qui sont à leur portée.

Une création en plusieurs langues.
Outre le français et l’anglais dans lesquels se déroulent les nombreux dialogues insolites, des bribes d’allemand, de russe et d’italien viennent alimenter une tapisserie sonore déjà surchargée. Dans une époque de grande diffusion, représentée par les nombreux écrans posés sur la scène, le sens devient pourtant diffus. L’omniprésence du multimédia se fait l’expression d’une réalité kaléidoscope où les nombreux mélanges ne parviennent jamais à s’unir. Le groupe des trois danseurs présents sur scène est toxique ; tous sont contaminés par la présence des autres, leurs émotions, leurs passés entrecroisés. Tous ceux présents sur scène trainent avec eux les symptômes des troubles des autres.

 

Bleu-Rouge-Vert, c’est une œuvre de laquelle on ressort avec la sensation définitive d’être perdus comme lorsqu’on se trouve devant une émission de télévision en langue étrangère et au genre indéfinissable. Que se passe-t-il ? Pourquoi cela se passe-t-il ? Puisque l’on ne peut s’identifier à rien sur scène, on se trouve plus que jamais face à soi-même. Il n’y a pas de narration dans le spectacle : comme dans un dessin duquel on aurait effacé les lignes et brouillé les formes pour laisser le spectateur face au laconisme des couleurs.


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