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Le protocole aux oubliettes

Chronique Accidentelle

L’administration de l’Université s’attendait certainement à susciter une importante levée de bouclier lors de la présentation, en novembre dernier, de son « avant-projet de protocole sur les réunions pacifiques sur le campus ».

Or, devant la pression exercée à la fois par des membres de la communauté étudiante et par des organismes voués à la défense des droits et libertés, les membres de l’administration ont choisi de prolonger leur exercice de consultation concernant les mesures à prendre pour prévenir les perturbations sur le campus jusqu’au 8 mars 2013, plutôt que de s’en tenir à l’échéance du 7 janvier dernier.

Dans une volte-face pour le moins inattendue, le vice-principal administration et finances Michael Di Grappa et le vice-principal exécutif Anthony C. Masi ont aussi laissé savoir que l’administration considère maintenant qu’un protocole constitue un outil trop rigide pour faire face à des événements particuliers comme des manifestations et qu’elle préfère conséquemment s’en tenir à un « énoncé de valeurs et de principes sur la liberté d’expression et la tenue d’assemblées pacifiques ». Le protocole sur les réunions pacifiques qui avait été placé à l’ordre du jour du Sénat dans la foulée de l’occupation du bâtiment James en février dernier laissait place à une bonne dose d’arbitraire dans la détermination de ce qui constitue une manifestation non-pacifique. Dans les faits, la nouvelle définition établie par le protocole était nettement plus large que celle qui existait déjà dans le Code de conduite des étudiants. Celle-ci avait tendance à faciliter le recours aux forces de l’ordre pour mettre fin à une manifestation trop longue ou trop bruyante.

Il est plutôt curieux qu’il ait fallu plusieurs mois de tractations pour en arriver à une conclusion qui s’imposait pourtant d’elle-même, soit l’inutilité d’un protocole de procédures dans de telles circonstances. Comme l’Université McGill disposait déjà de tous les outils nécessaires pour faire face à une manifestation, le protocole ne servait finalement plus qu’à restreindre la définition de ce qui constitue une « réunion pacifique », offrant ainsi beaucoup plus de latitude aux personnes mandatées pour mettre fin à des événements dits « perturbateurs ».

En effet, la définition de ce qui n’est pas acceptable dans le cadre d’une manifestation, qui faisait partie du défunt projet de protocole, dépendait de critères tellement vagues et inédits qu’à peu près n’importe quelle action pacifique aurait été susceptible d’y contrevenir.

Ainsi, un groupe d’étudiants souhaitant faire connaître son mécontentement n’aurait pu y arriver sans vivre dans la crainte d’être réprimandé, puni ou même expulsé du campus par des policiers appelés en catastrophe par un employé zélé.

Essentiellement, McGill ne proposait aucune solution susceptible de rétablir les ponts entre son administration et ses étudiants, choisissant plutôt de mettre en avant une stratégie qui réduisait le sentiment de sécurité de ceux qui ont quelque chose à revendiquer plutôt que le contraire. Ayant toujours les événements traumatisants du 10 novembre 2011 fraîchement à l’esprit, les étudiants réclamaient pourtant spécifiquement le droit de manifester sans risquer d’être accueillis sur le campus de leur institution scolaire sous une pluie de coups de matraque et de poivre de Cayenne.

Plutôt que d’amender son propre protocole en fonction des critiques les plus fréquemment exprimées par les membres de la communauté universitaire qui ont pris part aux consultations, l’Université préfère carrément changer de formule. Sans s’en réjouir trop rapidement, ce nouveau développement constitue au moins une victoire provisoire pour les groupes de défense des droits et libertés qui se sont prononcés contre le protocole tel que l’Association canadienne des libertés civiles, mais encore davantage pour les étudiants de l’Université McGill qui ont pris le temps de se pencher sur la question et de participer au processus de consultation.

Bref, il s’agit d’un grand jour pour tous ceux qui sont déterminés à faire en sorte que l’Université ne devienne jamais un lieu où la liberté d’expression se négocie.


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