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Le Canada un refuge ? Autrefois

La dégénérescence du système de santé canadien

Lindsay Cameron | Le Délit
Le 30 avril 2012, le gouvernement conservateur de Stephen Harper annonçait l’instauration du Programme Fédéral de Santé Intérimaire (PFSI); une réforme de l’assurance santé fournie d’office aux réfugiés au Canada. Cette modification, qui se traduit officieusement par des coupures dans le système de soins aux réfugiés, a été instaurée le 30 juin dernier. Le ministère fédéral de la santé, responsable entre autres de l’administration des soins aux communautés autochtones et aux réfugiés, compte ainsi épargner près de 20 millions de dollars annuellement, soit 0,5% du portefeuille de 3,8 milliards du ministère de la santé.
Jason Kenney, le ministre canadien de l’immigration, avançait alors l’importance, étant donné la situation actuelle, d’une diète économique. Il mettait en avant la nécessité de réduire le « tourisme médical » au Canada, où les soins de santé sont reconnus comme étant accessibles partout dans le monde. Il affirmait aussi l’intention de destituer les réfugiés d’une couverture d’assurance exhaustive à laquelle les citoyens canadiens eux-mêmes n’ont pas accès, en rappelant que ce n’était que « justice » pour les « payeurs de taxes ».
Concrètement, le PFSI prévoit la création de plusieurs « catégories » de réfugiés, qui recevraient, selon leur dite catégorie, une couverture différente. Pour les réfugiés pris en charge par le gouvernement et les réfugiés victimes de la traite, la protection demeure inchangée. En d’autres mots, ils continuent de bénéficier d’un accès gratuit à l’ensemble des services médicaux, diagnostiques et hospitaliers ainsi que la possibilité d’avoir recours, toujours gratuitement, à des séances de psychothérapie, de soins dentaires et de la vue, en plus d’avoir leur médication et leurs appareils médicaux couverts. Couverture exhaustive qui n’est pas offerte si vous êtes un simple citoyen canadien.
Dès décembre, il est attendu que le gouvernement fédéral crée une liste des pays d’origine désignée (POD). Cette liste, déterminée exclusivement par le ministre Kenney, ferait l’éventail des pays considérés sécuritaires par le gouvernement canadien, desquels il serait impossible de demander l’asile. La liste n’ayant pas encore été divulguée, on ne peut que spéculer quant aux pays qu’elle dénombrera, mais il ne serait pas surprenant qu’elle contienne tous les pays d’Europe, une grande majorité des pays d’Amérique et probablement le Japon, l’Australie, et la Nouvelle-Zélande.
Les réfugiés ne provenant pas des POD ainsi que ceux qui sont associés au secteur privé et qui feraient leur demande d’asile pour la première fois auraient alors une assurance différente. De la couverture exhaustive, il faut soustraire l’assurance médication, les chirurgies facultatives, la réadaptation et les soins de longue durée. Dans le cas où un réfugié représenterait un danger pour la santé publique, comme la tuberculose, ou présentant un état psychotique dangereux, les médicaments seraient couverts. Autrement, les patients, incluant ceux atteints de maladies chroniques comme le diabète et l’hypertension, devront dorénavant débourser pour se procurer leurs médicaments.
La troisième catégorie de couverture créée par le PFSI est appliquée aux réfugiés provenant des POD ainsi que ceux qui ont vu leur demande d’asile déboutée (environ 60% des demandeurs), mais qui attendent le vol de retour pour leur pays d’origine. Elle ne comprend aucune couverture de soins, sauf en cas de danger pour la santé publique. Par exemple, une femme enceinte demandeuse d’asile qui aurait vu sa demande déboutée ne serait pas couverte par l’assurance dans le cas où elle devrait accoucher au Canada avant d’être déportée dans son pays.
À l’annonce de l’implantation de ces nouvelles mesures, le gouvernement québécois a promis que les services essentiels de santé, comme les médicaments de prescription couverts par l’assurance médicament du Québec, seraient dorénavant offerts aux réfugiés par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), ce qui n’est pas encore le cas dans les autres provinces. Au Québec, on peut donc traduire le PFSI comme étant un transfert de la charge des réfugiés « indésirables » à la province. Toutefois, ces mesures, dont l’urgente nécessité reste douteuse étant donné l’économie minime réalisée au niveau des coupures, se traduisent en vérité par une confusion généralisée au sein des nouveaux réfugiés et des professionnels de la santé, puisque le gouvernement n’agit pas de façon transparente quant à l’exégèse de sa nouvelle loi.
En plus de cet imbroglio, le fardeau administratif s’alourdit pour les patients et les médecins. Le temps perdu à gérer les soins administrativement remet en question l’efficacité réelle de ces nouvelles mesures. Alors que la majorité des réfugiés continuent de voir leur couverture d’assurance garantie par le ministre fédéral de la santé, nul ne sait quels services et quelles interventions, si pratiquées, seront aux frais des médecins ou des hôpitaux.
Il est aussi à prévoir que certains réfugiés pour qui les services sont maintenus s’abstiennent de se rendre en hôpitaux, de peur de se voir claquer la porte au nez. Il ne faut pas non plus oublier que le PFSI affecte des individus ayant eu assez de déboires personnels. La maigre somme de 20 millions de dollars par année qu’économise le ministère de la santé du Canada avec ce nouveau système ne semble donc pas justifier autant de conséquences.
Qui sait, après tout, l’impact qu’aura ce plan de santé sur les véritables réfugiés ; sur le système de santé ; ou sur l’image du Canada à l’international. La trombe médiatique a renvoyé la fausse image que les soins de santé étaient désormais refusés catégoriquement aux réfugiés. Il faut conclure que le gouvernement aurait dû être davantage responsable de l’éducation du personnel de la santé et de la population quant aux nouvelles catégories de réfugiés qu’il a créées, à leur insu. De mauvaise foi, d’insouciance ou de manque de jugement, on ne sait pas de quoi accuser Ottawa pour ces coupures. 

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