Aller au contenu

Twitter

La fracture numérique

J’ai essayé… Twitter

En 2012, j’ai 20 ans, et c’est mon père qui m’a appris à me servir de Twitter. #VDM ? Je suis arrivée à me persuader que non, pas forcément. En effet, après presque deux mois d’utilisation plus ou moins active, je réalise que ce n’est pas vivre en décalage avec son temps que de ne pas utiliser ce nouvel outil de communication soi-disant universel.
C’est dans le cadre d’un cours de géo informatique spatiale que j’ai dû rejoindre Twitter. En effet, pour les 15% de participation, nous sommes notés sur notre activité Twitter. Pour cela, un hashtag a été créé : #neogeoweb. De cette façon, nos conversations de classe ne sont pas enfouies dans les décombres du serveur McGill, mais bien accessibles au public. Quelle meilleure façon d’étudier un phénomène que d’y être complètement immergé ? C’est l’avis de notre professeur et effectivement je dois reconnaître que je ressortirai éclairée et satisfaite de cette expérience. 

Dans notre milieu académique de premier cycle on a souvent l’impression que nos travaux ne servent à rien, ce qui va à l’encontre de l’enthousiasme des étudiants pour changer le monde et crée une frustration grandissante chez la plupart d’entre nous. Or, Twitter nous offre ici la possibilité de partager notre travail. C’est ainsi que des développeurs d’outils de cartographie digitale et la poignée d’experts sur le sujet nord-américain ont été « invités » par notre professeur à suivre notre hashtag. Mais encore faut-il être organisé, et connecté au réseau d’intéressés au moment où toute l’activité a lieu.

Le rôle de Twitter dans l’action citoyenne

Les spécialistes en la matière s’accordent pour dire que les médias sociaux ont la capacité d’apporter du changement. Selon Clay Shirky, professeur à l’université de New York, ils sont en mesure de « provoquer et d’entretenir des soulèvements en amplifiant des nouvelles particulières et de l’information ».
On nous dit que Twitter&co. ont révolutionné la liberté d’expression, que ce sont les réseaux sociaux qui ont provoqué le Printemps arabe, qu’ils sont la voix de la démocratie et qu’ils en sont aussi la voie. Effectivement, les réseaux sociaux ont détrôné la radio dans son rôle de centralisation des informations et d’organisation de la « résistance ». Les systèmes de surveillance l’ont bien compris : aujourd’hui, pour anesthésier un mouvement on ne brouille plus les fréquences, mais on sème la zizanie en ligne.
Pourtant, il y a un nombre considérable de facteurs qui remettent fortement en question la force des réseaux sociaux dans l’expression citoyenne démocratique. En effet, comme l’a souligné le cyber blogueur tunisien Yassine Ayari, interrogé par La Presse :
« Je suis allé dans des maisons où des gens avaient été tués, a‑t-il expliqué. Ils n’avaient même pas de PC. »
C’est ce que l’on appelle dans le jargon du développement technologique la « fracture numérique ». 

En effet, ces moyens de communication que l’on juge universellement accessibles sont en réalité loin de l’être. Nombreux sont les foyers sans accès Internet, où la langue dominante n’est pas l’anglais ; or l’écrasante majorité de l’activité web se fait en anglais et les habitants n’ont donc pas accès à une éducation des technologies web. Mis à part la démographie du public en position de prendre part à la conversation – ou même de simplement s’informer – sur les plateformes telles que Twitter est encore considérablement différente de celle dont il est sujet. 

Le milieu étudiant

Dans notre milieu étudiant, de nombreux projets de concertations publiques sont organisés à travers Twitter. L’an dernier, une élève à la maîtrise au Département de Géographie à McGill a lancé un projet pilote appelé « University Spaces ». Il était possible d’envoyer un commentaire positif ou négatif sur un aspect du campus. Pour cela, il fallait soit envoyer un texto avec le commentaire ainsi qu’un attribut afin qu’elle puisse l’afficher sur un plan du campus1.
Une autre option était de tweeter le commentaire avec le hashtag #universityspaces en activant l’option de géolocalisation. Au final, cette méthode ne fut que très peu utilisée. La théorie de cette élève est que les gens préféraient l’anonymat d’un numéro de téléphone plutôt que le semi-anonymat de Twitter. En twittant, le nom d’utilisateur s’affiche et le tweet apparaît sur la page de l’utilisateur, aux yeux de tous. Les gens vont préférer garder séparés leurs commentaires à propos des lieux de McGill de leur page/vie Twitter et de leurs abonnés. Il semblerait que pour la majorité des élèves mcgillois, et autres utilisateurs de Twitter interrogés, Twitter est principalement une source de divertissement et de centralisation de l’information plus qu’un lieu de débat ou d’action citoyenne. 

Militer plus facilement

Le deuxième aspect d’un réseau comme Twitter qui en limite sa portée s’inscrit donc dans sa nature de semi-anonymat. En effet, un internaute n’est PAS un manifestant, ni même un militant. Cela prend 10 secondes pour “liker” la page du carré rouge ou d’un parti « révolutionnaire », ça prend un peu plus d’effort pour brandir sa pancarte et aller montrer son visage en militant sous la pluie ou les coups de fusils. Le chroniqueur du New Yorker Malcolm Gladwell soutient cet argument en affirmant à propos des internautes que « la nature de leur média fait en sorte qu’ils courent des risques minimes… avec des effets négligeables ».

Le dicton dit qu’une seule personne convaincue ést plus forte que mille « suiveurs ». Et effectivement, Twitter et ses frères ne sont « que » des canaux de communication. Et dès que l’on commence à utiliser un nouvel outil dans le but d’élargir notre contrôle sur ce qu’il y a d’extérieur à soi-même, cette relation est modifiée. Certaines choses se gagnent, d’autres se perdent. Chacun de ces canaux de communication ont leurs avantages et leurs inconvénients, il nous reste à prendre le recul nécessaire afin d’être en mesure d’évaluer ceux-ci. De la même façon, avoir le choix entre tous ces médias est un renoncement aux avantages qu’offre une communication plus centralisée. Mais ces moyens ne sont en aucun cas un substitut de nos actions menées par nos motivations profondes. Bref, l’Histoire ne va pas se faire grâce à Twitter, mais en compagnie de Twitter.

Le danger de Twitter pour l’art de la communication

Même si elle est exagérée sur certains aspects, ce serait être aveugle que de nier l’importance que Twitter a sur notre environnement. L’anglais Mark Wallace remarqua « qu’il est aujourd’hui impossible d’éviter l’impact que Twitter a sur la politique, le business et la communication en général. […] Que vous soyez sur Twitter ou pas, les messages que vous allez entendre des politiciens en seront moulés ». En effet, qu’on le veuille ou non, 500 millions de comptes actifs, ça fait du bruit. Pour autant, il n’est pas évident que la qualité du débat (si réel débat il y a) en soit améliorée. 

En effet, comment nuancer une opinion en 140 caractères ? Il est simple de dire oui ou non à une déclaration mais l’agitation autour des hashtags montre bien une polarisation extrême en termes d’avis positifs ou négatifs dans les sondages. De plus, le volume massif de tweets rend les conversations très difficiles à suivre. C’est comme si nous nous retrouvions autour d’une énorme table ronde où chacun lance ses confettis pour attirer l’attention. Une fois les confettis en l’air, ceux-ci retombent plus ou moins doucement et souvent avant que quiconque ait pu en faire quelque chose de productif. Hors, les vraies inventions et innovations matérielles ou intellectuelles sont celles qui sont source de générativité, celles qui permettent à d’autres de rebondir dessus et de libérer le potentiel pour encore plus de progrès. Ce concept reste inconnu à Twitter et cela pourrait être compromettant pour l’avenir du site ainsi que pour notre habilité à innover de manière générale.

Nous sommes la première génération dont la majorité des informations à propos du monde extérieur nous arrive par un biais non-physique. La manière dont nous recevons l’information (et des quantités massives d’informations) a des répercussions qui sont d’autant plus importantes lorsque la communication de cette information se fait à deux voies. Les recherches scientifiques actuelles montrent que la façon dont nous habituons notre cerveau à recevoir l’information affecte inconsciemment la manière dont nous la traitons ainsi que notre capacité à émettre de nouvelles informations. L’effet de cette nouvelle forme de communication sur le traitement de l’information par notre cerveau n’est donc pas négligeable ; et l’utilisation des produits de la technologie, étant laissée à notre seule discrétion d’individu, est à manier de façon éclairée. 


Articles en lien