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Resnais renaît

Vous n’avez encore rien vu : si le temps passe, le texte reste.

Vous n’avez encore rien vu est une adaptation de deux pièces de Jean Anouilh, Cher Antoine et Eurydice. À la mort de leur ami Antoine d’Anthac (Denis Podalydès), figure d’Anouilh et fictif auteur de l’Eurydice du film, treize comédiens sont appelés à se regrouper dans la demeure de celui-ci pour effectuer ses dernières volontés. Accueillis par un majordome inquiétant dans une propriété aux allures de temple grec, les acteurs ont pour mission de visionner la mise en scène d’Eurydice par une jeune troupe de théâtre, la troupe de la Colombe, et de décider si cette adaptation est oui ou non digne d’être jouée sur une vraie scène.

Une ribambelle d’acteurs et d’actrices connus (Sabine Azéma, Lambert Wilson, Pierre Arditi entre autres), une bande-annonce intrigante, un titre mystérieux et le nom d’Alain Resnais à la réalisation : Vous n’avez encore rien vu est un film très attendu. Projeté dimanche en avant-première dans le cadre du Festival du Nouveau Cinéma, le film, qui sort le 19 octobre à Montréal, mêle théâtre et cinéma et tente d’établir une nouvelle réflexion sur les arts.

De là découle une série vertigineuse de mises en abyme. Tout d’abord, le spectateur est face à des comédiens jouant leurs propres rôles – « Pierre Arditi : lui-même », peut-on lire dans le générique. Mais ces comédiens sont eux aussi mis en position de spectateurs, car ils assistent à la pièce filmée de la troupe de La Colombe, dans une salle ressemblant étrangement à une salle de cinéma.

De plus, si ces 13 amis ont été réunis, c’est parce qu’ils ont tous, à un moment ou à un autre, interprété la pièce de leur ami Antoine d’Anthac. Devant la nouvelle représentation de La Colombe, le texte leur revient, par bribes d’abord ; ils semblent presque remplacer les acteurs, et rejouent la pièce d’une façon encore nouvelle.

La temporalité est ici constamment interrogée. Eurydice est l’adaptation d’un mythe antique, écrite par un auteur du XXe siècle, jouée par des acteurs contemporains ; la troupe de La Colombe est composée de très jeunes comédiens, les acteurs réunis chez d’Anthac sont d’un âge plus avancé. Les temps s’emmêlent jusqu’à ce que l’on ne sache plus vraiment dans quelle réalité on se trouve. Mais cela n’a pas d’importance. Ce qui importe, c’est le texte, le mythe, qui résonne depuis l’Antiquité, les dialogues, qui, finalement, peuvent être dits à tout âge et à toute époque.

Avec ces jeux sur le temps, Resnais semble interroger la place du théâtre et du cinéma au sein du système des arts et de la société. Le théâtre et le cinéma peuvent-ils se faire vecteurs de communication et de transmission entre les générations ? Quelles sont les forces particulières de ces arts ? Les acteurs disent un même texte, à différents moments de leur vie ; le film est un hommage au théâtre et au cinéma, car ils permettent, peut-être, de parcourir les temps et de toujours trouver de la nouveauté. Comme le dit le titre : tout reste encore à voir.

Vous n’avez encore rien vu est un film curieux, qui parvient tout de même à renouveler des thèmes déjà exploités et des questions déjà posées. Quelques longueurs, pourtant, sont à regretter ; le film retombe parfois dans une sorte de monotonie tranquille et peine à s’en extraire malgré la force du texte et la perfection de l’esthétique visuelle. On aurait voulu plus d’émotion, moins de distance et de froideur entre soi et les personnages. C’est finalement une réflexion très intellectualisée, au potentiel certes important, mais qui nous laisse sur un étrange sentiment d’inachèvement. C’est à chacun de poursuivre l’histoire. Alain Resnais entrouvre une porte – mais nous n’avons pas encore tout vu.


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