Aller au contenu

Paradoxe au masculin

Le Mâle Entendu clôt le Festival International de Littérature.

En ce dernier jour du Festival International de Littérature, Nancy Huston met en scène Le Mâle Entendu. Récit sur l’homme d’aujourd’hui.

Le décor est sombre, rouge et noir, presque celui d’un intime concert de jazz. C’est une version androgyne de Nancy Huston qui entre en scène au milieu des trois musiciens pour qui elle joue les porte-paroles. Nancy ne fait que rapporter les confidences de ces trois hommes, qui accompagnent leurs propos d’une composition musicale de leur création (Jean-Philippe Viret à la contrebasse, Édouard Ferlet au Piano et Fabrice Moreau à la batterie). Ce semi-anonymat permet toute la sincérité et la vérité de cette œuvre. On ne sait pas qui a vécu quoi, mais peu importe.

Le récit commence par des souvenirs d’enfance, un retour aux premières fois, une rétrospection sur le rapport au père, les premiers désirs féminins, les premiers coups durs. Ces histoires personnelles donnent ainsi de l’épaisseur aux confessions qui suivent : le ressenti des hommes face aux pressions et devoirs auxquels ils font face. 

On est confronté à des normes souvent paradoxales : l’homme doit séduire chaque belle femme, même s’il ne ressent aucun désir, et doit être excité à chaque instant, ce qui est contradictoire avec l’érection qui est perçue comme étant honteuse et politiquement incorrecte. L’homme doit donc faire face à la honte. La honte de la masturbation, de l’hypersensibilité, et la honte de ne pas être à la hauteur, notamment vis-à-vis de la femme. 

Nancy met en avant l’incompréhension de l’homme face à sa propre masculinité. L’homme est mis dans une position de vulnérabilité, mais sans pour autant être perçu comme une victime, ni faire porter la faute sur la femme. 

Nous sommes face à l’histoire de chaque homme, jusqu’à sa propre paternité. Le cycle continue, l’homme transmet. Le rôle du père et celui qu’il joue dans la construction de la masculinité prend toute sa place : le père qui pleure, le père qui recadre, le père autoritaire, l’enfant en position de faiblesse ; c’est tous les aspects de la paternité qui sont passés en revue.

Au cours du récit, Nancy redevient petit à petit femme. Le besoin de se représenter asexuée, voire masculine, pour porter les confidences de ces hommes s’estompe au fur et à mesure, quand le spectateur ne la voit plus comme un individu, mais simplement comme une porte-parole .

Au niveau musical, les artistes explorent les nombreuses possibilités de leurs instruments : cordes pincées, instruments caressés dans les moments charnels, jeux sur les silences pour les témoignages qui rendent vulnérable, improvisations joyeuses lors des découvertes sentimentales comme le baiser innocent, etc.
Le récit se clôt de la même façon qu’il a commencé : en larmes. Au début, ce sont les pleurs stigmatisés du père, à la fin ceux de l’homme à qui on les interdit et qui ne veut plus occulter sa tristesse. 

En deux mots, Le Mâle Entendu est une pièce qui éclaire la femme et apaise l’homme. Pour autant, on vous recommande plutôt le dernier livre de Nancy Huston, Reflet dans un œil d’homme, inspiré des confidences des trois musiciens. En effet, malgré l’esthétique du tableau de scène, et les qualités de narration de Nancy, c’est surtout le contenu qui captive le public.

Dans ce livre paru en juin dernier, l’auteure part du fait que l’on est biologiquement programmés pour se reproduire, afin d’éclairer les tensions contradictoires introduites dans la sexualité et le rapport entre les hommes et les femmes dans le monde d’aujourd’hui.


Articles en lien