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Plongée poétique en trois temps

Laurent Kling sort son premier album solo à La Pastèque : Evan, Evans, une plongée poétique au cœur d’une existence banale. Âmes sensibles, lisez !

Evan est rond. Evan est seul. Evan est comme tout le monde. Il est simple, peut-être insignifiant. Il assiste à sa propre vie et trouve de la poésie dans l’ordinaire, se nourrit de la beauté du monde. Dès le début du récit, Evan apparaît comme un personnage un peu pathétique, mais optimiste. Il tente d’apprendre à chanter à son canari. Mais, tel un mauvais augure, celui-ci se contente de ronronnements monotones qui semblent évoquer la routine, l’enfermement dans la grisaille insipide du quotidien. 

Voulant prendre soin de son volatile, Evan le nourrit avec affection d’un ver de terre fraîchement déterré dans le jardin. Le lendemain matin, le pauvre homme découvre son ami inanimé dans sa cage. Le choc est rude, la dépression, immédiate. En quelques cases, la déchirure du deuil laisse place à une complète déchéance. 

Mais, le canari sort de terre, ressuscite, et, ouvrant grand sa gueule pour en faire sortir le ver, offre, enfin, des profondeurs de son immortalité, un chant à son maître. Alors qu’Evan renaît sous une douce mélodie, un ami sonne à sa porte. Un ami ? Un profiteur égoïste, plutôt, mais Evan ne semble pas s’en soucier. Il le laisse démolir sa maison dans une suite rocambolesque d’aventures, tuer son oiseau, et, enfin, carrément, l’envoyer sur la lune pour lui louer la première maison lunaire. 

Malgré toutes ces péripéties qui privent Evan de tout ce qu’il possède et aime, notre bonhomme tout rond ne dit rien. Car Evan n’est pas un être hors du commun, il n’est pas un héros. Il ne changera pas le monde et il ne s’opposera pas à celui qui le manipule. Il assiste à sa propre existence dans le silence, sans se plaindre, retrouvant le sourire ici et là, se contentant de ce que la vie, simplement, lui prête. Et si la vie n’est pas si belle, il n’en reste pas moins que même depuis la lune, Evan retombe toujours sur ses pieds. 

À la première lecture, Evan, Evans dégage une certaine tristesse : pauvre être que cet Evan qui se laisse vivre sans s’opposer à rien, soumis au monde ! Pourtant, à force d’attention portée à la douceur du traitement visuel et narratif, l’optimisme reprend sa place bien méritée. Après tout, Evan, s’il n’est pas plus heureux qu’un autre, n’a pas non plus l’air malheureux. Il se sort de toutes ses aventures, pas plus sonné par sa chute de la lune que par la vie. On ne l’envie pas, mais on ne le plaint pas non plus, et on finit par se régaler pleinement de son existence burlesque et touchante.

Ce récit tout en lenteur s’apprivoise ainsi au fil des pages et des lectures comme un apprentissage de la simplicité. C’est une histoire en peu de mots, un récit sur la solitude et la passivité. Trois parties, trois temps pour pénétrer dans l’existence d’un personnage commun et poétique. Le dessin est simple et l’album a des allures années 50 plutôt charmantes. Profitons-en pour souligner l’excellent travail de la maison d’édition La Pastèque qui, fidèle à ses habitudes, a créé un bel objet littéraire dont on jouit avec un plaisir certain.


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