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« Croire. Se battre. Gagner. »

L’industrie du ruban rose présente l’envers des campagnes de financement pour la lutte contre le cancer du sein. Entrevue avec la réalisatrice Léa Pool.

Photo: Monic Richard

Léa Pool (Emporte-moi, Maman est chez le coiffeur) se disait très fébrile et exténuée par le déroulement de la semaine. En effet, le 3 février se tenait la première canadienne de L’industrie du ruban rose, produit par l’Office National du Film, son tout dernier projet sur lequel elle travaille depuis près de 3 ans.

Le Délit : Qu’est-ce qui vous a donné envie de réaliser un projet en lien avec le cancer du sein ?

Léa Pool : En fait, on m’a proposée de réaliser ce documentaire et certaines personnes avaient déjà entamé les premières recherches lorsque je suis entrée dans l’équipe. Je pouvais toutefois remarquer les produits roses en particulier au mois d’octobre et je trouvais déjà que cette jolie couleur était présente un peu partout, parfois même sur des objets hétéroclites. Quand j’ai commencé à me renseigner sur la matière, j’ai découvert qu’on en savait peu et que les gens hésitaient à parler étant donné la sensibilité évidente du sujet. Je me suis demandée comment aborder un sujet si délicat, alors qu’il y a clairement abus des compagnies, sans toutefois pousser la population à ne plus croire en cette cause ?

L.D.: Qu’est-ce que vous avez remarqué lorsque vous avez entamé vos recherches ?

L.P.: Le rose est aujourd’hui synonyme de victoire et d’espoir. Il est devenu l’enfant chéri du marketing. Toutefois, arrêtons de croire à l’illusion ! Les femmes ne s’en sortent pas toujours. Les multinationales nous vendent le rose, littéralement. Ils savent très bien que le noir, la colère et la mort ne sont pas bons pour l’image. Ils nous donnent la fausse impression que c’est un cancer facile et notre perception de la maladie change. On a besoin d’espoir et je le comprends très bien. Il est merveilleux de voir toutes ces femmes marcher pour la cause et se rassembler pour aider. J’essaye d’ouvrir les yeux à ces gens. Est-ce qu’on peut demander : où va donc tout cet argent ? On a le droit de savoir.

Photo : Monic Richard
L.D.: Qu’est-ce qui vous choque particulièrement dans la situation de ces femmes ?

L.P.: Les compagnies disent que c’est une situation gagnante/gagnante. Pour eux et pour la cause. Dans les faits, c’est gagnant dans un seul sens. Les compagnies utilisent malheureusement cette nouvelle marque de commerce pour promouvoir leurs produits, tout en se donnant une belle image. Le pourcentage d’argent donné directement pour la cause est malgré tout minime, en comparaison avec ce qu’ils auraient dépensé en promotion de tout genre… Pour eux, c’est de la publicité presque gratuite ! En effet, comment se fait-il que seulement cinq pourcent des fonds amassés aillent à la recherche sur les problèmes environnementaux, quand nous savons l’impact énorme de l’environnement sur toutes les maladies. Premièrement, parce que souvent les entreprises qui donnent de l’argent sont celles qui créent les problèmes environnementaux. Les compagnies pétrolières, par exemple, se donnent bonne conscience en donnant un sou au cancer du sein par litre d’essence suprême vendu pendant le mois d’octobre. Ce qui m’offusque le plus, c’est que ces compagnies pourraient très bien donner, sans rien recevoir en retour.

L.D.: Qu’est-ce que vous vouliez démontrer aux gens avec ce documentaire ?

L.P.: Le but de mon projet est de redonner à cette cause un sens plus actif et d’informer. C’est le manque de coordination et la compétition entre les laboratoires qui font peu de sens. Après avoir tant donné, quelles sont les avancées ? Comment se fait-il qu’il y a 40 ans, une femme sur vingt-deux avait le cancer du sein et qu’aujourd’hui, les statistiques sont montées à une femme sur huit ? Ces personnes qui ont travaillé pour obtenir tous ces fonds, n’ont-elles pas le droit de savoir ? Il faudrait constater de manière plus significative le progrès des recherches et se tenir informé des résultats.

L.D.: Que proposez-vous à la population qui désire faire des dons ?

L.P.: Donnez votre argent directement à des organismes ou à des centres de recherche auxquels vous adhérez profondément. Écrivez des lettres aux entreprises qui utilisent le rose pour se donner bonne image. Plaignez-vous. À un moment donné, ils vont sûrement arrêter de rire de nous ! On doit s’impliquer plus activement dans les processus. J’espère que la population se mobilisera pour faire bouger les choses. Pour l’instant, les grandes institutions sont dans l’attente de voir comment le public réagira cette semaine suite à la sortie de L’industrie du ruban rose. J’espère que les critiques seront bonne et que le documentaire sera bien accueilli.

L.D.: Êtes-vous heureuse du résultat et de ce que vous avez accompli ?

L.P.: Oui, et si c›était à refaire, ce serait sûrement de la même manière ! J›ai parlé avec des médecins, des activistes, des femmes au stade 4, des militants. C›est un documentaire qui représente très bien qui je suis et je crois que mon message passe bien.

L.D.: Quels sont vos prochains projets ?

L.P.: J’ai deux projets en cours : un documentaire sur l’histoire d’enfants dont les mères sont en prison et comment ces pauvres jeunes deviennent victimes collatérales du système judiciaire. Mon second projet est une fiction se déroulant dans un couvent de musique en 1967 au Québec. La passion d’Augustine  rappellera légèrement l’histoire du film Les choristes. Ces deux projets sortiront en salle l’année prochaine.

Propos recueillis par Geneviève Payette.


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