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Jeunesse unie, Parlements conquis

Le cynisme est présent dans la plupart des sociétés occidentales, mais des jeunes se lèvent encore pour prendre d’assaut les institutions démocratiques et les rendre à leur image le temps d’une simulation.

Webmestre, Le Délit | Le Délit

La génération du lectorat du Délit est souvent mise à mal. On lui impute différents préjugés : peu d’implication citoyenne, individualisme, manque d’appréciation de la chose publique. Aux dires de nombreux commentateurs, la situation de la jeunesse tant québécoise qu’occidentale est peu reluisante.

Aujourd’hui, les intérêts des jeunes peuvent être satisfaits par une multitude d’implications différentes. Les plus populaires restent toujours l’engagement international, notamment avec Amnistie internationale ou différents groupes de cette consonance. Dans les démocraties, notamment en Occident, des jeunes engagés se tournent vers les partis politiques pour exprimer leur vision d’avenir et leur action est extrêmement louable et importante pour la revitalisation de l’action politique.

Cependant, il existe un phénomène peu connu de la population et qui commence à faire son bout de chemin parmi les cercles de jeunes impliqués dans différents milieux. Il s’agit des simulations parlementaires. Ces événements gagnent en popularité à travers le Québec, mais aussi un peu partout dans le monde. Les jeunes s’unissent malgré leurs différences idéologiques et politiques le temps d’une simulation et ils prennent d’assaut leur parlement national pour y faire vivre la démocratie dont ils rêvent malgré ce que certains qualifient de cynisme ambiant.

Au Québec, depuis quelques années, les simulations parlementaires sont tellement populaires qu’il y a des listes d’attentes et la qualité des participants augmente d’année en année. Le Québec est choyé pour avoir deux simulations parlementaires au Salon bleu de l’Assemblée nationale : le Parlement étudiant du Québec (PEQ) et le Parlement jeunesse du Québec (PJQ).

Photo : OZniOH
Parlement Étudiant du Québec (PEQ)
Il s’agit de la simulation parlementaire qui se rapproche le plus de la réalité partisane actuelle. Il y a le caucus des Rouges (centre-droit) et le caucus des Bleus (centre-gauche). Chacun des caucus est composé de 62 députés. Les membres sont liés par la ligne de parti et doivent être solidaires avec leur caucus.

Le Premier ministre de la dernière simulation (sous le gouvenement du caucus des Rouges), Kevin-Alexandre Lavoie, indique que chaque parti alterne entre le pouvoir et l’opposition durant la semaine (2 jours au gouvernement et 2 jours à l’opposition officielle). « Le chef du caucus a l’entière discrétion de choisir son conseil des ministres et d’octroyer les postes d’officiers dans son caucus. Le chef pour l’année suivante est toujours élu à la dernière soirée de la simulation. C’était la 26e édition du PEQ cette année. »

Cette année, les rouges ont présenté les idées suivantes. Le premier projet de loi du caucus des Rouges touchait à la privatisation du transport en commun de Montréal et Québec. Le deuxième visait une réforme de l’aide sociale. Le troisième voulait réformer le processus d’accréditation des associations étudiantes. Finalement, un livre sur la réforme de la fiscalité au Québec a été présenté dans le but d’introduire un taux d’imposition unique (flat tax) et d’assurer un filet social avec un revenu minimum non imposable.
Les bleus ont présentés les idées suivantes. Dans un premier temps, un projet de loi sur les marchés non-concurrentiels avec la création de nouvelles sociétés d’État, notamment Pétro-Québec. Le deuxième projet concernait la création de l’Agence de protection et de valorisation du secteur bioalimentaire du Québec. Le dernier portait sur le Conseil des arts et des lettres du Québec avec, au programme, une augmentation considérable de l’investissement pour la culture.

Parlement Jeunesse du Québec (PJQ)
À la différence du Parlement Étudiant du Québec, cette simulation est non partisane malgré la séparation des groupes parlementaires entre le gouvernement et l’opposition officielle. En effet, les nouveaux participants sont aléatoirement choisis pour être dans le gouvernement ou dans l’opposition. Il n’y a aucune ligne de parti et les députés votent selon leur âme et conscience sur les ébauches de loi présentées par les ministres.

Il existe plusieurs postes pourvus par les anciens qui sont choisis par le comité exécutif qui organise la simulation chaque année. En effet, les postes de ministres à déclaration, porte-parole de l’opposition à déclaration, les whips, les leader-adjoints et les présidents des quatre commissions sont des postes normalement attribués à des participants de deuxième année. Les postes de porte-parole de l’opposition pour les projets de lois présentés par les ministres sont attribués à des participants de troisième année et les quatre postes de ministre à projet de loi sont donnés à des participants de quatrième année.

Cette année, le Parlement Jeunesse du Québec s’est penché sur quatre projets de loi. Le premier concernait la représentativité des syndicats auprès des salariés. Le deuxième visait une décentralisation de l’éducation et une abolition des commissions scolaires. Le troisième projet de loi présenté songeait à repenser la coopération internationale pour abolir le critère de « bonne gouvernance » lors de l’étude des dossiers d’aide. Et, finalement, le quatrième concernait l’itinérance chronique à Montréal ; et les moyens pour enrayer ce phénomène.

La prochaine simulation du Parlement Jeunesse du Québec aura lieu au mois de décembre 2012 et encore une fois, plusieurs projets de loi seront présentés dans le cadre de la 63e législature du Parlement jeunesse du Québec.

Les deux simulations parlementaires présentées ci-haut ne sont pas des exceptions. En effet, il existe bien d’autres simulations parlementaires dans le reste du Canada.

Parlement jeunesse pancanadien
Le Parlement jeunesse pancanadien (PJP) est un des rendez-vous des jeunes politiciens d’expression française et originaires de partout au Canada. Cet événement est organisé par la Fédération de la jeunesse canadienne-française. Il s’agit d’une simulation de plus de 100 jeunes âgés de 16 à 25 ans qui débattent de 3 à 4 projets de loi. Le PJP est non partisan ; les députés peuvent voter selon leur âme et conscience.

Le PJP a pour mission de contribuer au développement politique, langagier et culturel de la jeunesse francophone. Le succès du PJP s’est traduit par une multiplication des simulations parlementaires dans les différentes provinces où une population francophone peut soutenir un tel événement.

Photo : Stephen Rees

Parlement jeunesse francophone de Colombie-Britannique
Une des simulations qui est née du PJP est le Parlement jeunesse francophone de la Colombie-Britannique. Il s’agit d’un parlement jeunesse simulé et non partisan qui a lieu à chaque année dans la législature de Victoria. Les participants deviennent alors un député ou un ministre de Colombie-Britannique. Ainsi, les jeunes francophones de Colombie-Britannique peuvent se regrouper et faire vivre la langue française dans la législature de Victoria.

Parlement jeunesse francophone de Saskatchewan
Le Parlement jeunesse francophone de Saskatchewan est un rendez-vous politique, journalistique et social de la francophonie saskatchewannaise dans la législature de Régina. Les participants au volet politique ont la chance de prendre part à ce parlement non partisan où le parti au pouvoir et l’opposition débattent de projets de loi provinciaux déposés par les jeunes, le tout, dans la Chambre d’assemblée législative à Régina

Photo : Scanzon

Parlement jeunesse francophone de l’Ontario.
Le Parlement jeunesse francophone de l’Ontario est une activité provinciale à grand déploiement initiée en 2007 par Jean-Marc Lalonde, président de l’Assemblée des parlementaires de la francophonie – section de l’Ontario (APF), député de Glengarry-Prescott-Russell. Le Parlement jeunesse offre une occasion unique aux élèves francophones de 11e et de 12e année de vivre au rythme des activités de l’Assemblée législative de l’Ontario, à Toronto avec des jeunes de partout en Ontario français.
L’objectif principal est de stimuler l’intérêt et l’engagement des jeunes à l’égard de la politique et du fonctionnement de l’appareil gouvernemental en Ontario. Les enjeux débattus lors de la simulation porteront sur des sujets chauds qui retiennent tout particulièrement l’attention des jeunes Ontariens.

Parlementer à la Belge, en français bien sûr !

Le Délit s’est entretenu avec le Président de l’Assemblée du Parlement Jeunesse de la Communauté française de Belgique et ancien chef de délégation belge au Parlement Jeunesse du Québec de décember dernier, Thibaut Roblain.

Le Délit : Pouvez-vous nous décrire les grandes lignes de votre simulation ?
Thibaut Roblain : Première remarque, l’assemblée dans laquelle nous sommes est tout comme l’Assemblée nationale du Québec, soit une chambre législative d’une entité fédérée. On l’appelle la Communauté française ou depuis le changement de nom la Fédération Wallonie-Bruxelles, c’est l’ensemble des francophones en Wallonie et à Bruxelles. Ce parlement produit des décrets, qui ont la même valeur de loi mais ont un nom différent. Nous avons un partenariat avec le Parlement Jeunesse du Québec grâce auquel nous envoyons une délégation de belges au Québec et eux viennent à notre Parlement jeunesse avec une délégation. Ce faisant, nos simulations s’influencent grandement l’une et l’autre. J’étais justement le chef de la délégation belge au dernier Parlement Jeunesse du Québec en décembre dernier.

LD : Comment fonctionne votre PJ en comparaison avec le système politique au Québec et le PJQ ?
TR : Nous en sommes donc à la XVIe législature du PJ. Au début, le PJ ressemblait au PJQ mais des différences se sont imposées au fil du temps : notre PJ est adapté à notre système parlementaire, c’est-à-dire avec des coalitions de groupes politiques, le décorum européen, et le système législatif sans vote de principe. Ce qui est assez amusant, c’est de voir que nous avons des concepts au PJ qui n’existent pas dans le vrai Parlement : en Belgique, il n’y a pas d’Opposition officielle, donc pas de shadow cabinet. Pourtant, pour la simulation, nous avons nos porte-parole, nous nous levons pour parler (normalement, on ne parle debout qu’à la tribune, pas de sa place), nous avons un chef de l’opposition, mais notre Premier ministre s’appelle un Ministre-Président. Nous faisons aussi un triangle de communication (sans masse d’arme) à la britannique, car ça n’existe pas chez nous. Il est moins rigoriste concernant le protocole et délaisse les formalités des serments au profit du débat et de la découverte. En résumé, le PJ est un melting pot assez sympathique entre le parlementarisme belge et nos influences britanniques, du Québec et des coutumes du Parlement Jeunesse du Québec

LD : Quelles sont les grandes caractéristiques de votre simulation ?
TR : Le PJ dure six jours dont la première journée seulement à l’auberge. Il n’y a pas de débat de principe. Le français est la seule langue autorisée. Nous évitons de parler de la vraie politique mais nous sommes fictivement dans un Etat où tout va bien, où le français est la seule langue, où il n’y a aucun problème de séparatisme, etc. Notre premier but est de faire découvrir la démocratie, ses rouages, d’apprendre aux jeunes à s’exprimer, à prendre position, et ce, dès dix-sept ans : nos débats sont certainement un peu moins « intenses » intellectuellement car il y a plus de débutants. Nous devons faire un compromis entre qualité des débats et découverte initiatique pour les néophytes. C’est extrêmement important pour nous ! Il y a quatre décrets et donc quatre ministres. Et nous avons en fin de PJ une résolution : le PJ invite une personne sur un sujet précis puis nous votons un texte ou le Parlement s’engage à prioriser le sujet en question (acte purement politique mais cela permet un débat sur un sujet autre que les quatre projets).

LD : Quels seront les sujets de décrets pour cette année ?
TR : Premièrement, il y a un projet de décret sur les mères porteuses consistant à les rendre possibles d’une manière très libérale : une quasi location d’utérus. Puis un projet de décret sur le chômage concernant les allocations qui y sont dédiées et votre bien-être social. Ce projet prévoit une allocation pour les indépendants mais un durcissement des conditions pour son obtention pour les salariés et une limitation de sa durée, car en Belgique, on peut passer sa vie au chômage. Le troisième projet de décret concerne l’immigration ; c’est-à-dire de nouvelles conditions pour arriver chez nous. Et finalement, un projet de décret sur les collaborateurs de justice ; donc sur le statut des personnes condamnées qui donnent des informations importantes à la justice. Réductions de peine, voire suppression de l’infraction selon l’importance ! D’autres mesures aussi punissant la non-information, etc.

LD : Il y a une délégation de Québécois qui part en Belgique pour votre simulation ; y a‑t-il d’autres délégations étrangères qui participeront à votre simulation ?
TR : Oui, il y a plusieurs délégations. Il y aura certainement les cinq québécois. Il y aura aussi un membre d’un parlement jeunesse du Congo, ainsi qu’un Suisse du Jura suisse, un membre de la simulation de Roumanie, un représentant italien du Val d’Aoste et finalement un membre de la simulation parlementaire du Maroc.

Propos recueillis par Francis L. Racine


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