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Une pierre à la fois

Work in Progress, un récit déroutant présenté aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal.

Qu’est-ce qui nous incite à terminer ce que nous nous sommes engagés à faire ? Quelles sont les motivations qui nous poussent à compléter un projet ? Voilà la grande question à laquelle Bill Stone a voulu répondre en suivant Chris Overing dans la construction d’un mur de pierres sans mortier long de 300 mètres dans son premier long-métrage Work in Progress.

124 minutes explorant l’érection d’un mur… Drôle d’exercice que de chroniquer l’évolution de ce projet qui peut sembler à première vue banal et exempt de tout drame possible. Tout ce temps peut-il réellement être captivant ? Eh bien, oui. Le seul risque de ce projet hasardeux se produit : le mur ne se construit pas. Du moins, pas dans délais attendus.

Work in Progress n’est pas qu’une suite chronologique des deux-cents heures filmées au fil de cinq saisons. C’est un documentaire aux allures d’un roman d’apprentissage, ces récits romantiques qui décrivent la maturation d’un héros, en l’occurrence le réalisateur. D’ailleurs, la bande-annonce le propose comme un film sur l’espérance, les attentes. Bill Stone part naïf et crédule –l’échéancier initial était de deux mois–, puis il s’impatiente face à l’apparente nonchalance de Chris Overing, et s’inquiète face à ses objectifs pour le film. L’avancée de ces projets –le mur et le documentaire– et tout ce qu’ils peuvent susciter de préoccupations sont examinés à travers la réflexion du réalisateur.

Par de brefs commentaires ironiques qui font éclater la salle en rires orchestrés, il tourne au ridicule son propre projet et ses aspirations exprimant ainsi le cycle nécessaire passant de « l’enthousiasme à la désillusion, à un genre de purification de la visée initiale ». Plutôt que de verser dans l’hypersubjectivité et le cliché avec des méditations qu’on peut dire éculées et surutilisées comme « Can we project beauty onto something or does it have to come out on its own ? », « What is built is a reflection of what’s going on Inside », « Why are we avoiding what we sought out to do ? », Bill Stone exprime par là une étape du cours de la pensée. Chaque personnage semble incarner une émotion du réalisateur, de l’ambition aux inquiétudes, jusqu’au besoin de puiser aux sources par un voyage idyllique au nord de l’Angleterre.

Alors que l’intention première était de chroniquer la construction de ce mur de pierres par un néophyte, Work in Progress se transforme en une méditation sur le progrès, la valeur de l’expérience par rapport au travail accompli. C’est une conception de la vie en elle-même qui se forge progressivement. Derrière l’apprentissage de la maçonnerie et du documentaire, domaines dans lesquels Bill et Chris font respectivement leurs armes, ils découvrent les grands événements de l’existence (l’amour, la haine, la mort, l’altérité).

Au terme du documentaire, on constate avec surprise qu’à travers son introspection personnelle, Bill Stone réussit à se transcender et à offrir un exposé clair et drôle sur un thème complexe : la vie. Un tour de force à ne pas manquer, une seule et dernière séance aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal !


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