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La sécurité de McGill s’attaque aux étudiants

Quatorze étudiants occupent le bureau de la principale. La sécurité réagit avec violence.

Webmestre, Le Délit | Le Délit

Jeudi 10 novembre, quatorze étudiants ont occupé le bureau de la principale de l’Université McGill, Heather Munroe-Blum. Ils racontent avoir été brutalisés par les services de sécurité de l’université. La principale a demandé au doyen de la faculté de droit de mener une enquête.

Les événements se sont déroulés en marge de la manifestation ayant rassemblé près de 30 000 personnes pour protester contre la hausse des frais universitaires décidée par le gouvernement de Jean Charest.

Alors que le défilé touchait à sa fin à proximité des bureaux montréalais du premier ministre du Québec, peu après 16 heures, un certain nombre de manifestants, étudiants à McGill pour la plupart, ont convergé vers le pavillon d’administration James, à proximité de la rue Milton.

Très vite, le bruit se répand qu’un groupe d’étudiants occupe les bureaux de la principale, cinq étages plus haut. Une information filtre : la sécurité de McGill est en train de s’en prendre violemment à eux.

« Nous nous sommes introduits dans le bâtiment vers 15 heures 45 sans rencontrer d’agents de sécurité », raconte John*, un des quatorze étudiants.

Luke* continue : « Nous savions que la réceptionniste était en grève. Nous ayant entendu, une des secrétaires est apparue par une des portes menant au bureau de la principale et nous a dit que nous n’avions rien à faire là. L’un d’entre nous a saisi la porte et nous sommes passés à côté d’elle. »

Dans un courriel au McGill Daily que Le Délit s’est procuré, Doug Sweet, responsable des relations médias de l’université, indiquait que « des femmes présentes dans les bureaux ont été bousculées par les manifestants ». Il ajoute qu’elles en sont ressorties « bouleversées et en larmes ».

Heather Munroe-Blum, absente au moment des faits, renchérit : « Des individus masqués ont pris d’assaut mes bureaux. Les employés présents ont eu très peur. »

Les manifestants nient tout contact physique avec les secrétaires. « Nous nous sommes assurés que tout se déroule sans violence et nous avons informé tout le monde qu’il s’agissait d’une occupation pacifique et que chacun était libre de partir à tout instant », raconte Luke*.

Le McGill Daily rapportait que Susan Aberman, chef de cabinet de la principale, s’était exprimée auprès des manifestants assemblés vendredi après-midi à l’extérieur de l’édifice James : « J’étais dans mon bureau quand des individus avec des capuches et des masques se sont introduits dans mon bureau, ils ont enfoncé des portes verrouillées, ils ont bousculé ma collègue, ils m’ont bousculée, ils sont entrés dans mon bureau et ils m’ont menacée. »

David* estime que le « seul moment où quelqu’un a pu être poussé c’est quand cette personne tentait de nous empêcher d’ouvrir la porte. Nous avons poussé la porte et par conséquent, la personne qui se trouvait derrière. Mais ce n’est en rien comparable au déferlement de violence de la sécurité à notre encontre. »

Lorsque la sécurité a finalement pu forcer une des portes que les occupants tentaient de maintenir verrouillées, les agents se seraient précipités vers le bureau de la principale.

Luke* se souvient : « J’étais assis sur le fauteuil de HMB. L’agent s’est approché de moi. Il m’a dit que j’allais devoir bouger. J’ai répondu que je resterai assis. Il a alors saisi ma chaise et m’a jeté par terre. Je suis resté là, opposant une résistance passive. Il m’a alors attrapé par la cheville et m’a traîné à travers la pièce. Peu après, un autre agent est ensuite venu pour aider le premier à me porter. Ils m’ont jeté, littéralement, dans la salle de réception. J’ai également été frappé à l’abdomen. »

John* admet qu’ils ne s’attendaient pas à une telle réaction de la part des services de sécurité. « On a été complètement pris par surprise. L’occupation de bureaux d’administrateurs est un mode d’action courant dans les universités, ça se passe habituellement dans le calme, on n’imaginait pas qu’ils deviendraient violents. »

Jack* est scandalisé : « Un de nos camarades souffre d’ostéoporose, quand ils sont devenus violents, il a commencé à hurler qu’il était atteint de cette maladie, mais ils n’en ont tenu aucun compte. Il a été poussé et malmené comme les autres. »

Ce camarade dont Jack parle, c’est Moe. Il explique qu’un agent l’a attrapé par derrière et l’a étranglé avec son bras autour du cou. « Il a ensuite commencé à me donner des coups de genoux dans le dos. Je n’ai cessé de répéter que j’étais atteint d’ostéoporose. Ce à quoi il a répondu « I don’t give a fuck. » Je sais qui est cet agent, c’est un des employés de McGill, pas un agent Securitas. Je suis tout à fait en mesure de l’identifier, je connais même son nom.

Luke* raconte que le vice-principal aux relations externes, Olivier Marcil, un des membres de l’équipe de direction très proche de Heather Munroe-Blum, aurait arraché le bandana qu’il utilisait pour cacher son visage.

Contacté par Le Délit, Olivier Marcil nie : « Visiblement, certains ont tendance à vouloir réécrire l’histoire de ce qui s’est vraiment passé à l’intérieur du bâtiment James ce soir-là. Laissons le doyen Daniel Jutras faire son travail et établir les faits qui nous permettront à tous d’y voir plus clair. »

Derek* insiste : « Les administrateurs ont filmé chaque seconde de cet épisode avec, à chaque instant, au moins deux caméras différentes. S’ils produisent ces vidéos, tout le monde verra que nous disons la vérité : la violence de leurs actes et l’absence de toute violence de notre part. »

Heather Munroe-Blum a reconnu avoir vu certains extraits vidéos de ce qui s’est passé dans ses bureaux, mais elle réfute avoir en sa possession un quelconque élément qui puisse laisser penser qu’un ou des employés de l’université aient agi autrement qu’avec les plus haut principes éthiques.

Après négociation avec messieurs Mendelson et Masi, les manifestants ont obtenu une amnistie totale à condition de quitter les lieux sur le champ, ce qu’ils ont fait, accompagnés de la sécurité et de la police qui avait également accepté de les laisser repartir libres.

Face aux critiques de la venue de l’escouade anti-émeute sur le campus et face aux allégations d’agression des étudiants par la sécurité et des membres de l’équipe de direction, madame Munroe-Blum a annoncé qu’elle confiait à Daniel Jutras, doyen de la Faculté de Droit, la mission de conduire une « enquête indépendante ». Il devra « examiner ce qui s’est passé et faire toute recommandation [qu’il juge] nécessaire en ce qui concerne les pratiques, procédures et politiques en vigueur au sein de l’université. »

Quand on leur demande de réagir aux graves accusations que les occupants ont formulé à l’encontre de la sécurité, la direction, autant monsieur Mendelson que madame Munroe-Blum, se borne à la ligne de communication suivante : « nous n’étions pas dans la pièce, nous ne savons pas ce qu’il s’est passé, nous attendons les conclusions de l’enquête du doyen Jutras. »

La principale se justifie : « Je n’ai aucune preuve permettant de corroborer ces allégations, je n’ai donc aucune raison d’engager une quelconque procédure disciplinaire. Si des membres de la communauté estiment qu’ils ont été brutalisés, des procédures existent, je les invite à les suivre. »

* Les noms désignés par un astérisque ont été changés à la demande des intervenants.


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