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Une question de complexes

Le Canada passe sous le bistouri cet automne, pour un lifting du faciès. Un lifting à rebours, en fait, puisque la Couronne britannique revient dans les bonnes grâces de l’imagerie canadienne.

Comme si le pays trouvait son visage trop lisse, et s’ennuyait de ses rides.

La presse a ridiculisé d’une voix ce complexe soudain. De fait, l’opération semble rivaliser de bêtise avec l’émulation du culte carcéral américain à l’encontre des alizés statistiques.

Le Devoir, notamment, y voit un « écran de fumée masquant des enjeux prioritaires négligés ». Bob Rae, lui, discerne l’expression d’une « vulnérabilité » conservatrice. Mais c’est bien tout le contraire !

Plus qu’un simple maquillage, c’est une véritable chirurgie, un effort concerté des Conservateurs pour calquer l’imaginaire national sur un nouveau « parti naturel du Canada ».

D’abord, cet élan de britannicité paraît paradoxal. Après tout, la base Conservatrice n’est-elle pas américanophile, suffisamment téméraire pour embrasser sans remords les mœurs de l’Oncle Sam ?

Pour élucider la chose, il faut regarder le grand tableau et remonter la généalogie conservatrice, jusqu’à John G. Diefenbaker puis John A. Macdonald. En fait, jusqu’au passé anglophile de cette famille politique.

La stratégie harperite entend dépoussiérer le fil bleu de l’histoire pour rendre la monnaie de sa pièce à l’ex-hégémonie libérale. En reconquérant leur britannicité ancestrale, les Conservateurs espèrent envahir la mémoire canadienne.

Ainsi, la nouvelle carte de visite de John Baird (brodée d’or!) n’est pas anodine : elle omet le « bâtiment Lester B. Pearson » de l’adresse du bureau chef des Affaires Étrangères, tandis qu’en parallèle un nouvel édifice ministériel a été inauguré au nom de… John G. Diefenbaker !

Le mandat du Chief Diefenbaker est serré au milieu d’un demi-siècle de règne libéral. Îlot bleu dans un océan rouge, les Conservateurs n’ont pas d’autre choix que de le maintenir à flot dans la mémoire nationale, preuve qu’ils ont traversé le temps sans sombrer.

Justement, de toutes les positions politiques de Diefenbaker, c’est l’identité britannique qu’il soutînt avec le plus d’éloquence. Sans doute les chirurgiens plasticiens du Canada espèrent-ils rendre le pays plus au goût du défunt premier ministre, et ainsi réclamer son héritage.

Mais ce serait oublier l’ultime (et épique) campagne du Chief, qui s’opposa bec et ongles, jusqu’aux confins de l’hiver, à l’adoption de l’unifolié, celui-là même que les Conservateurs, dans un énième emprunt de ce que les États-Unis ont de moins bon à offrir, viennent de sacraliser !

Alors Harper aurait beau ordonner qu’on sculpte, au scalpel, le visage du Canada comme un sosie d’Élisabeth II –ce qu’il fait déjà, dans un sens, en ornant chaque ambassade d’un portrait régal– Diefenbaker ne se laisserait pas séduire pour autant, lui qui voyait dans l’unifolié, et non sans raison, une pure ingénierie Libérale.

Les Conservateurs ne sont donc pas les premiers à forcer la symbolique historique de leur bord. Du coup, si l’on ne veut pas perdre la tête devant le visage janusien du pays –et si je puis me permettre d’écrire la chute la plus mièvre jamais publiée dans ce journal– il est crucial que l’on sache aller au-delà des apparences.


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