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Un manque qui se fait sentir

Les cours d’éducation sexuelle font leur retour en force en 2012 dans les écoles secondaires et la jeunesse médicale prend la relève ardemment !

Webmestre, Le Délit | Le Délit

Depuis que les premiers élèves de la réforme sont arrivés au secondaire en 2005, les cours de Formation personnelle et sociale ont graduellement été radiés du cursus pour laisser place à la formation Santé et bien-être. Fondamentalement similaire, cette dernière n’est pas un cours, mais un ensemble de principes qui doivent être transmis par l’intégralité du corps enseignant dans les cours de base (Mathématiques, Français, Arts, Éducation physique, etc.). Ainsi, l’éducation sexuelle, tête d’affiche desdits cours de FPS, est une initiative que tous les professeurs doivent prendre. La responsabilité, toutefois, n’est pas toujours assumée.

Problème ? Problème.
En effet, selon le Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), une recrudescence de presque 500% du taux de gonorrhée chez les femmes entre 15 et 24 ans a été remarquée entre 2004 et 2008, avec des taux similaires pour la syphilis et la chlamydiose. Coïncidence ? « Sûrement pas », soutient le Docteur Réjean Thomas, fondateur de la clinique L’Actuel, qui a eu l’occasion de voir de ses propres yeux sa clinique se remplir progressivement de cas d’infections transmissibles sexuellement ou de grossesses non désirées depuis l’abolition du programme en 2005. C’est aussi depuis cette date qu’il tente de ramener les cours d’éducation sexuelle au secondaire.

Toutefois, l’éducation à la sexualité ce n’est pas que de la biologie, mais aussi une façon d’initier les jeunes aux complexités des relations amoureuses et du respect qu’elles impliquent. Il advient donc que les jeunes qui n’ont pas eu cette formation à l’école sont non seulement enclins à des rapports sexuels non protégés, mais aussi à fonder leur image de l’amour physique sur ce à quoi ils ont accès sur internet. Quand on parle d’un problème ! Suite à cette décision du ministère de l’Éducation en 2005, une équipe d’étudiants en médecine de l’Université McGill a pris le taureau par les cornes en créant le groupe Sexperts, palliant ainsi au manque ressenti.

Alice Des | Le Délit
Qu’est-ce que Sexperts ?
Sexperts, ce sont des étudiants universitaires (un garçon et une fille portés volontaires) qui patrouillent les écoles secondaires et qui, par le biais d’arrangements pris avec les enseignants, font la promotion de la santé sexuelle, du respect dans la relation, de la contraception et de la diversité, le tout à l’aide de discussions, d’activités informatives et interactives auprès des jeunes de 14 à 17 ans. Le but de ces activités est de faire profiter à toute la classe des réponses aux questions qu’un élève pourrait avoir, en plus de fournir aux étudiants les ressources nécessaires pour trouver les réponses aux questions qu’ils n’oseraient pas poser. Si les sexperts ne connaissent pas la réponse à une certaine question, ils dirigent le jeune vers un site web spécialisé (comme masexualite​.ca) ou vers une ligne d’appel. Les étudiants ont l’occasion de participer à leur guise et, de poser des questions à main levée ou sur des papiers distribués à la classe. On ne demande que le respect des opinions. Le tout se fait généralement avec un enseignant absent ou bien caché au fond de sa salle de classe, qui observe, jaloux (et attentif), les étudiants être plus enthousiastes que dans ses plus beaux souvenirs.

Tout de suite après sa naissance, le projet Sexperts est devenu interuniversitaire et a été adopté par la Fédération internationale des associations d’étudiants en médecine, division Québec (IFMSA-Québec). Les tâches se sont donc progressivement divisées entre McGill et l’Université de Montréal et, aujourd’hui, les six campus médicaux du Québec (McGill, Sherbrooke, Laval, Montréal, Saguenay et Trois-Rivières) font vivre le projet Sexperts. Il s’agit d’ailleurs de la seule initiative qui lie tous les campus médicaux du Québec. Encore mieux, ayant été pris en charge par une association internationale, Sexperts a pu profiter d’expertises étrangères pour se développer et améliorer la qualité de ses présentations pour désormais déployer ses ailes dans une dizaine de pays comme le Liban, l’Autriche, l’Allemagne, etc.

Parmi les activités qu’offre l’éducation par les paires de sexperts, on démystifie les infections transmissibles sexuellement ainsi que les pratiques sexuelles qui sont le plus à risque en demandant d’abord aux élèves de les classer dans l’ordre qu’ils croient logique, on fait une démonstration des différentes méthodes de contraception et de celles qui sont les plus efficaces, on instruit les jeunes sur la diversité sexuelle avec laquelle ils devront composer dans leur vie personnelle et professionnelle, on parle des premières fois, des différences entre les garçons et les filles, d’amour…

La vérité, par contre, ce n’est pas que les jeunes ne sont pas renseignés sur la sexualité, au contraire. Ils sont très au courant de ce que c’est, le sexe. Par contre, et c’est là qu’est l’abscès, ils sont mal informés. Ne sont pas rares les questions comme : « Est-ce qu’on peut tomber enceinte en donnant une fellation ? », « Pourquoi utiliser le condom si je prends la pilule ? », « Pourquoi utiliser des contraceptifs si on a accès à la pilule du lendemain (Plan B)», etc. Le rôle des sexperts est alors de démystifier ce que les jeunes peuvent parfois prendre pour acquis, et ils le font avec l’avantage que leur jeune âge d’étudiants universitaires leur procure. En effet, les adolescents ont beaucoup plus tendance à s’identifier à des gens qui sont seulement de quelques années leur ainés et posent ainsi les questions qui les tracassent vraiment, comme ils le feraient s’ils parlaient avec leurs amis. L’organisme travaille également à éveiller la curiosité des jeunes face à ce sujet pour qu’ils puissent entreprendre des recherches par eux-mêmes, étant donnée la quantité restreinte de matériel éducatif qu’une heure de cours interactif permet de transmettre.

La formation Sexperts
De manière générale, les sexperts sont des étudiants en médecine, quoique le projet cherche à rallier tous les étudiants universitaires qui sont intéressés. Avec leurs connaissances plus ou moins développées dans le domaine, les étudiants en sciences de la santé sont appelés à une journée de formation qui aura lieu, cette année, le samedi 8 octobre, de 9 heures à 18 heures à l’Université de Montréal (offert en anglais et en français). Il s’agit d’une journée entière dédiée à la formation de base que tous les sexperts doivent savoir et elle est obligatoire pour ceux qui veulent pouvoir faire des présentations dans le futur. Les sexperts qui ont déjà reçu la formation sont aussi mandatés de s’y présenter, car elle vise à rassembler les bénévoles à travers le Québec pour l’uniformisation du projet et la mise en commun des expériences enrichissantes vécues sur les différents campus qui pourraient profiter à tous. Il s’agit d’une première, alors que des sexperts de Chicoutimi, Sherbrooke Trois-Rivières et Québec se rallieront pour la première fois, à Montréal, pour unifier le mouvement. La formation est gratuite, ouverte à tous les étudiants (en médecine ou non) et le repas est même offert !

Le comité de santé sexuelle de l’IFMSA présentera, au cours de la journée, des professionnels invités qui viendront discuter et interagir sur la santé sexuelle, des activités pour former les futurs bénévoles sur l’apprentissage par les pairs, des informations pratiques quant aux présentations Sexperts que les formés seront amenés à faire, les ressources qu’il faut fournir aux jeunes pendant une présentation pour qu’ils puissent eux-mêmes faire des recherches, des ateliers de communication pour interagir avec les groupes sans tenir de propos sexistes, racistes ou hétérocentrés et bien plus encore.

Cette volonté d’unification tombe à point, à vrai dire. « C’est le grand projet de l’année : faire en sorte que les sexperts du Québec aient une méthode d’action uniforme et efficace », assure Aris Hadjinicolaou, Coordonnateur national du comité de santé sexuelle, au sujet du retour des cours d’éducation sexuelle. En effet, la nouvelle ministre de l’Éducation, Line Beauchamp, a décidé de révoquer la décision de Michelle Courchesne et fera donc revenir l’éducation sexuelle au niveau secondaire à partir de la prochaine année scolaire. Les écoles devront composer avec le même budget pour intégrer cette matière à leur cursus. Sexperts travaille donc présentement avec l’Agence de la Santé Publique du MSSS pour faire accréditer son programme bénévole à la liste des entreprises pouvant donner le cours dans les écoles qui ne peuvent pas se permettre un éducateur spécialisé en la matière. « La formation nationale permettra donc d’élargir le champ de vision à Sexperts auprès des instances politiques, mais aussi à motiver les bénévoles et à leur donner un sentiment d’appartenance à l’organisme en voyant tous ces jeunes du Québec qui croient en le même projet » renchérit-il.

Aris Hadjinicolaou

Le rayonnement de Sexperts
L’an dernier, l’organisme a réussi à rejoindre plus de 4700 étudiants à travers la province, dont la moitié étaient de la ville de Québec. La capitale nationale a désormais le programme Sexperts le plus étendu. À McGill, on ne s’en tire pas trop mal non plus. Cette année, l’organisme a donné cinq formations aux étudiants universitaires et entrainé plus de 92 sexperts, la majorité provenant de la faculté de médecine. De plus, Sexperts a donné 55 présentations au secondaire afin de rejoindre les 1144 étudiants de la commission scolaire English-Montréal provenant de Mile-End High School, Royal-Vale High School, Bialik High School, Marymout Academy et Rosemount High School. Toutefois, Sexperts McGill ce n’est pas que des présentations dans les écoles, mais aussi une série de formations en continu comme la promotion de la journée internationale de la femme, l’organisation de No H8 le 17 mai, une séance photo contre l’homophobie, une conférence avec Maître Claivaz-Loranger sur l’aspect légal de la transmission et l’exposition au VIH, l’invitation de l’organisme Stella, de l’ATQ et COCQ-SIDA pour un souper-causerie sur les différentes réalités sexuelles, et la liste continue !

« La logistique de l’organisme, en constante croissance, est désormais prise en charge par la Fondation Jeunes en Santé, qui s’occupe de contacter les écoles secondaires pour que les présentateurs Sexperts puissent se présenter à l’école sans avoir à entreprendre des démarches fastidieuses d’administration », précise Laurence Bernard, coordonnatrice du projet de l’an dernier pour l’Université McGill. Elle a désormais passé les rênes à Ariane Smith, de la promotion de Médecine McGill 2015, qui a une grande foi en son projet et qui déploie des efforts incroyables pour que la journée de formation soit une réussite. « Nous travaillons aussi sur un outil d’évaluation pour que les écoles puissent noter leur degré d’appréciation du projet afin de rendre les présentations futures encore plus efficaces et compréhensives à l’égard des étudiants ». Le projet est donc bien vivant et bien portant !

Sexperts, depuis sa création, a reçu plusieurs prix de la fondation Force Avenir, de nombreux prix donnés à des organismes à but non lucratifs ainsi qu’une bourse de 43 000 dollars du Forum des Jeunes de Montréal pour assurer la pérennité du projet et le soutien financier des présentations (matériel de démonstration, cahiers, formations, etc.)

Ce sur quoi Aris, Laurence et Ariane insistent le plus, c’est que le projet est ouvert à tous les étudiants intéressés, peu importe la faculté dans laquelle ils étudient. Tout ce qu’ils doivent faire pour participer à Sexperts, c’est se rendre à la formation nationale du 8 octobre prochain. En effet, IFMSA a même lancé l’invitation au programme d’études en sexologie de l’UQAM pour que les étudiants participent à la formation !

Dans le futur ?
Beaucoup de projets sont encore au stade de l’embryon mais le futur est brillant pour l’organisme. On vise certainement à continuer les présentations dans les écoles secondaires pour les années à venir puisque Sexperts croit vraiment que la méthode amicale de transmission des connaissances et la jeunesse des présentateurs permet aux ateliers d’avoir un impact bénéfique sur les étudiants. Les démarches vont bon train et, un jour prochain, l’organisme aimerait pouvoir offrir des services conjoints (et toujours gratuits!) aux écoles secondaires, en collaboration avec d’autres projets de l’IFMSA, comme le projet Osmose, pour la promotion de la santé mentale ainsi qu’un projet de santé globale et de nutrition.

Apparemment, il vaut mieux prévenir que guérir ! (Ça coute moins cher.)


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