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Pas de répit pour les journalistes

La guerre contre le trafic de drogue au Mexique est plus meurtrière pour les journalistes que n’importe quelle autre zone de conflit dans le monde, selon un rapport de l’organisation PEN Canada. 

Le rapport, intitulé « Corruption, impunité, silence : la guerre contre les journalistes au Mexique », note que 66 journalistes mexicains ont été tués depuis que le président Felipe Calderon a lancé une offensive contre les cartels de drogue, lors de son arrivée au pouvoir en 2006. Une guerre qui a fait 35.000 victimes et qui s’est soldée par un nombre record de 15.000 homicides pour l’année 2010.
L’emprise du narcotrafic sur le nord du Mexique est telle que ces crimes restent largement impunis et se perdent dans un chaos généralisé. Le narcotrafic menace la sécurité des journalistes, mais aussi leur capacité d’investigation.

Dans ces régions, le quatrième pouvoir est contrôlé par les barons de drogue qui ne veulent pas voir leurs activités étalées au grand jour. Les salles de rédaction sont régulièrement saccagées. Pablo Piccato, professeur d’histoire mexicaine l’Université Columbia de New York parle aussi d’intimidation : « Ils leur tirent dessus ou lancent des grenades dans des salles de rédaction, sans avoir de cible précise, simplement pour faire peur. » Sous cette menace permanente, beaucoup de rédactions se résignent à choisir entre la vie et la mort, et de ne plus enquêter sur les narcotrafiquants. La presse semble condamnée à compter les morts, y compris les siens. Nombreux sont ceux aussi qui choisissent le chemin de l’exil pour échapper aux représailles des narcotrafiquants.

 
AFP

 

7 août 2010, des journalistes protestent à Mexico contre l’ambiance de terreur régnant dans leur vie professionnelle. 

Les États-Unis voisins sont les premiers consommateurs mondiaux de cocaïne, et les premiers producteurs d’armes. Le Nord du Mexique est ainsi devenu l’épicentre du trafic de drogue. Une région où l’État mexicain a perdu tout contrôle. Le narcotrafic gangrène toutes ses institutions : de la police classe politique, en passant par l’appareil judiciaire ; le trafic crée une économie parallèle que la presse a les plus grandes difficultés à décrire. L’industrie de la drogue attire des militaires et des policiers sous-payés, finance des campagnes politiques… Dans cette optique, la presse n’est qu’un rouage de ce système parallèle.

D’après le gouvernement mexicain, 450 000 personnes dépendent ou travaillent directement dans le narcotrafic. L’industrie de la drogue s’est emparée d’une économie déjà fragilisée et d’un système judiciaire arbitraire. De sorte que 99% des crimes contre les journalistes restent impunis et aucune enquête ne suit ces meurtres, selon Reporters sans frontières.

« Ya Basta de Sangre ! » « Assez de sang ! », une campagne lancée en janvier 2011 par dix caricaturistes de presse au Mexique.

L’espoir fait vivre
Judith Torrea est la seule journaliste internationale à Ciudad Juárez, la ville la plus dangereuse du Mexique. Elle est l’auteur d’un blog intitulé Ciudad Juárez, en la sombra del narcotrafico qui a été récompensé en avril dernier dans la catégorie « Reporters sans frontières », à l’occasion du concours des Best of Blogs, organisé par la radio allemande Deutsche Welle.

Torrea est appelée à couvrir au moins six meurtres par jour à Ciudad Juárez. Il ne se passe pas 24 heures sans que ses habitants découvrent une hécatombe de cadavres. La ville est aussi tristement célèbre pour ses féminicides. Plus de 400 jeunes femmes ont été atrocement assassinées entre 1993 et 2003, ce qui a valu à Juárez le surnom de la « cité des des mortes ».

« Le danger là-bas, c’est d’être en vie », affirme la journaliste espagnole. En 1997, Judith Torrea part travailler aux États-Unis. Elle se rend régulièrement à Juárez pour couvrir les féminicides, avant de s’y installer en 2009. Ses habitants la hantaient. « Je voulais publier leurs histoires sans attendre après un éditeur », raconte la blogueuse. « Je ne pouvais pas me contenter de vivre aux États-Unis et de regarder ça à distance, alors que la vérité n’est faite sur ce qui s’y passe. En tant que journaliste, ma mission est de donner une voix à ceux qui n’en ont pas. » Torrea continue de raconter les activités des cartels, la répression des autorités et la corruption qui se propage dans la police. Elle va à la rencontre des proches de victimes et ce, malgré les risques encourues.


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