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Néons rouges

Le 30 mars 1997

Alors, je n’ai pas pu dormir, encore. Il y a deux semaines que je suis arrivé. À cause des bruits de la circulation et de la construction du centre ville, je n’ai pas dormi plus de trois heures. Les néons clignotants des magasins d’en face m’ont tenu éveillé toute la nuit. Montréal, ce n’est pas pour moi. Je viens de me promener dans la rue Sainte-Catherine, et les gens sont ridicules. Les sans-abris, les athées, les toxicomanes, et les homosexuels –ils sont partout… comme des mouches. La vie à Jonquière n’est pas comme ça… tout est propre. Elle me manque.

La seule bonne chose qui s’est passée aujourd’hui c’est que j’ai rencontré une femme. Je l’ai vue en dessous des lumières rouges de la rue et elle m’a demandé une Belmont. Je ne fume pas mais elle était vraiment belle. Nous nous sommes parlé quelques minutes… je ne pouvais pas m’empêcher de regarder ses lèvres rouges. Elle n’était pas grande, avec les cheveux blonds, comme une jeune Brigitte Bardot. Elle habite ici, au centre-ville, et il est clair que c’est une véritable montréalaise. Quand elle parlait, elle était polie, mais directe. Elle dit qu’elle pourrait me montrer la ville, alors nous nous verrons encore. J’espère qu’elle pourra améliorer cette expérience montréalaise –cette ville m’a déjà fait une mauvaise première impression, et Montréal, c’est pas Jonquière.

Le 28 avril 1997

Camille et moi, nous sortons ensemble depuis plusieurs semaines. C’est vraiment un bol d’air frais. Elle m’a emmené au quartier chinois dont je n’avais jamais entendu parler. J’ai appris quelque mots en chinois aussi : « ni hao » pour « bonjour»… « xie xie » pour « merci»… Maintenant, je ne peux pas m’en rappeler exactement. Camille était un vrai mystère, mais elle devient plus ouverte avec moi. Elle me dit qu’elle est danseuse, mais je ne l’ai jamais vue danser. Je veux tellement, un jour, la voir danser mais pour le moment elle refuse. Peut-être qu’elle est timide.

Au sujet de mon emploi, il s’est amélioré. Ce n’est pas facile de prendre le métro tous les jours et de travailler avec mes collègues de travail. Ils s’habillent en jeans, ils parlent très vite, et leurs blagues sont souvent difficiles à comprendre. Parfois, je me sens comme un étranger. L’un est musulman, et un autre est homosexuel. Aujourd’hui j’ai rencontré un autre homme qui ne croit pas en Dieu. C’est bizarre, et je ne peux pas comprendre cela. Camille est athée aussi. Moi-même, je ne comprends pas –mais elle écoute mes prières le soir et ma foi.

Son absence de croyance est le seul problème avec Camille. À mon avis, la religion, c’est une partie qui lui manque dans sa vie. C’est compliqué, et j’ai pensé la quitter… mais il faut que je fasse la paix avec sa foi.

Le 5 mai 1997

Tout va bien. À mon emploi, ils embauchent plus de personnes. La semaine passée, j’ai rencontré Paul. Il a été embauché en avril, et il est vraiment drôle. Parfois, nous allons au Cock and Bull quand la journée est finie. Il boit beaucoup, du moins plus que les gens à Jonquière, et il est possible qu’il ait une liaison avec notre superviseure, Léa. C’est une bonne idée de se faire des amis ici. Je pourrais l’inviter pour goûter à la cuisine chinoise avec Camille et moi.

Camille et moi, nous nous entendons bien. La semaine passée, j’ai rencontré ses parents. Ils habitent à Saint-Henri et ils sont tellement gentils. Camille ressemble exactement à sa mère –les cheveux blonds, les lèvres rouges, les yeux bleus. Cela m’a fait imaginer que nos enfants seraient si beaux.

Le 9 juin 1997

Je pensais que je ne tomberais jamais en amour, pas comme ça. Camille est gentille, généreuse, belle, intelligente… tout ce que je désire chez une femme. Je pense à lui demander de m’épouser –j’ai déjà commencé la recherche d’une bague de diamants. Je sais depuis longtemps que je l’aime.

La bague doit être fantastique –la semaine passée, elle m’a acheté une Rolex seulement parce qu’elle m’aime. C’est si cher, je ne sais pas comment elle a eu les moyens de l’acheter. Évidemment, elle gagne beaucoup d’argent avec son emploi de danseuse. En fait, je ne suis pas sûr… peut-être que demain j’irai voir Camille à son emploi pour la surprendre. Je n’ai jamais vu où elle travaille. Je me demande si c’est dans une école ou dans un théâtre peut-être. Oui ! Je vais acheter une bague aujourd’hui et lui faire ma demande demain !

Le 10 juin 1997

Putain ! MENTEUSE ! J’aurais dû savoir qu’elle était tout simplement une séductrice. Or, elle m’a dit qu’elle m’avait parlé de son emploi. C’est un mensonge, elle ne m’a jamais dit ça ! Quand j’ai téléphoné à sa mère pour l’adresse, elle ne savait ni l’adresse ni le nom du théâtre dans lequel sa fille travaillait. Je pense que c’est à ce moment-là que j’ai commencé à penser que quelque chose était suspect.

J’ai essayé plusieurs fois de lui téléphoner, mais elle ne répondait pas. Elle a dit qu’elle était allée faire des courses avant d’aller au travail hier soir. Il était 23h quand je suis sorti de chez moi ; quoi qu’il en soit la rue Sainte-Catherine était tout à fait bouillonnante. Puisque je ne pouvais pas trouver son lieu de travail, j’ai décidé de la demander en mariage un autre jour.

Perdu dans mes pensées, j’ai marché sans regarder dans quelle la direction, et quand j’ai levé les yeux, les lumières brillantes et rouges du néon m’éblouissaient… Sur le néon était écrit le mot « SUPERSEXE ».

J’ai été idiot, et je suis furieux. Comment est-ce que je suis tombé amoureux d’un mensonge ? En dessous des lumières rouges du néon je l’ai vue, sortant de la boite et ne portant presque rien. Je ne pouvais rien faire. Tout à coup, tout était clair et horrifique. J’ai lui demandé quel type de danse elle faisait, elle a rit et m’a dit « une variété ». C’est DÉGUEULASSE ! Je me suis retourné et, ignorant Camille qui m’appelait, j’ai pris un taxi jusqu’à chez moi.

Le 22 juin 1997

Ça fait presque deux semaines que je ne l’ai pas vue, que je ne lui ai pas parlé. La vie est plate. Je cherche des emplois à Jonquière pour y retourner. Le répondeur du téléphone était plein de messages de Camille, disant qu’elle « regrette » que je ne puisse pas accepter son identité et que je lui manque. Elle veut qu’on se rencontre, mais je ne veux pas la voir.

Le 24 juin 1997

Encore une, je me suis retrouvé marchant dans la rue Sainte-Catherine ce soir. J’étais perdu dans mes pensées quand un sale clodo a commencé à me parler. J’ai compris qu’il était, sans surprise, soûl ; mais il m’a dit quelque chose d’étonnant. Il m’a dit que, quand on trouve quelque chose de bien, il faut le garder, quoi qu’il arrive.

Suis-je vraiment plus heureux qu’avant de sortir avec Camille ? En fait, les deux semaines passées ont été les plus misérables de ma vie. Tout ceux qui habitent dans cette ville trouvent le bonheur, sauf moi. Maintenant, j’accepte la possibilité que le bonheur vienne à ceux qui changent d’esprit, comme il est évident que cette ville est en train de changer, chaque jour et chaque minute. Il est possible que j’aie jugé Camille trop tôt, et je ne peux qu’espérer qu’elle voudra encore me voir.

Le 25 juin 1997

Aujourd’hui j’avais décidé d’aller voir Camille à son emploi. Je pensais que, peut-être… Cependant, quand je suis arrivé à SUPERSEXE les lumières rouges du néon m’ont fait tourner la tête et il a fallu que je m’assoie au bord du trottoir. J’étais assis depuis longtemps, quand un homme soûl est arrivé et a vomi sur moi. C’était la chose la plus dégueulasse du monde ! À ça moment-là, j’ai pris ma décision. Je ne resterai plus ici. Je ne verrai jamais plus Camille. Montréal sera un vague souvenir pour moi.

Je ne sais pas où je suis, mais je sais que je retourne chez moi, à Jonquière. J’en ai fini avec les jeans, les blagues que je n’ai jamais comprises, et les athées. Étais-je naïf, ou peut-être stupide ? …de penser que je pourrais commencer une nouvelle vie, dans un endroit dont je ne connais rien du tout. Je ne peux pas rester à Montréal. Il me semble que toutes ces choses ne seront jamais compatibles : Camille et moi, ma religion et les croyances d’ici, mon identité et Montréal, et mes yeux et les lumières rouges des néons. Je regarde par la fenêtre de ce train et tout ce que je vois est noir.

Julia Jensen, Jenna Topan et Kenneth Koo


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