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I have a dream

La nature de la conscience humaine a toujours été une question d’intérêt pour les philosophes et autres chercheurs de l’esprit.

Depuis peu, les neurobiologistes spécialistes des sciences cognitives tentent eux aussi d’y répondre en réalisant des études scientifiques aussi rigoureuses que possible. Une méthode parmi d’autres consiste à utiliser ce que l’on nomme les « rêves lucides », c’est-à-dire un état de conscience tel qu’un individu endormi sait qu’il est en train de rêver.

Le phénomène, nommé ainsi par le psychiatre néerlandais Frederik van Eeden en 1913, est documenté et étudié depuis le milieu du XIXe siècle. C’est l’aristocrate Hervey de Saint-Denys qui fut le premier à publier un livre sur le sujet en 1867. Son intérêt était d’explorer les implications morales des différents états de conscience, à savoir si l’on pouvait être tenu responsable du contenu de ses rêves. D’autres personnes eurent toutefois recours à ce procédé pour répondre à différentes questions, comme Mary Arnold-Forster qui écrivit tout un livre sur l’exploration des limites d’un rêve lucide. Les premières études objectives et scientifiques sur le sujet sont attribuées à K. M. Hearne (1978), suivant la découverte du sommeil paradoxal par Aserinsky et Kleitman (1953), et précédant le travail de Steven LaBerge (1980) qui fut certainement celui qui approfondit le plus la recherche dans ce domaine.

LaBerge a surtout exploré les possibilités d’informer un dormeur qu’il est en état de sommeil, sans pour autant le réveiller, pour ensuite communiquer avec lui dans son rêve. Lors du sommeil, tous les muscles du corps sont paralysés, excepté ceux des oreilles, de la langue et des yeux. Il devient ainsi possible de signaler au sujet qu’il se trouve en état de sommeil paradoxal par une série de pulsions lumineuses codées selon une certaine séquence prédéterminée. Le sujet peut ensuite répondre par une séquence de mouvement des yeux prédéterminée elle aussi, et le contact est établi.

Les problèmes que soulève ce genre d’étude est d’une part, la difficulté pour les sujets de devenir lucides lors d’un rêve, et, d’autre part, la rigueur objective des mesures effectuées. Naturellement, des détracteurs suspicieux ont protesté qu’il était impossible d’être conscient lors du sommeil paradoxal, et que les sujets devaient forcément être éveillés. Certaines études semblent situer l’occurrence des rêves lors du sommeil paradoxal, tout en mesurant un état éveillé du cerveau sur un électro-encéphalogramme (EEG), suggérant une dissociation de l’esprit entre deux états : éveillé et endormi au même moment.

Ce concept, troublant au premier abord, n’est pas aussi surprenant qu’il le paraît. Schenck et Mahowald (1996) soulignent le cas du somnambulisme, où la zone génératrice des mouvements de pas et le système de navigation du cerveau sont complètement fonctionnels, alors que le reste du cortex cérébral est encore au stade IV du sommeil. D’une certaine manière, les perceptions vivides d’un rêve peuvent être considérées littéralement comme une expérience hallucinatoire. En quelque sorte, lors d’une hallucination à œil ouvert, le système de génération d’image du sommeil paradoxal est enclenché en plein état de conscience. Le cerveau se trouve dans deux états simultanément. Allan Hobson semble en conclure que l’état de rêve lucide constituerait un troisième état de conscience, étudié empiriquement sans encore avoir été théorisé (2009).

Deux études supporteraient cette idée. La première, dirigée par Voss et ses collègues (2009), étudie la corrélation des profils de cohérence des ondes cérébrales entre l’état éveillé et endormi. Le rêve lucide est caractérisé par un état transitoire entre les deux, particulièrement dans la région frontale. La deuxième, une étude allemande menée par Michael Czisch (2005, 2007), fait appel aux techniques d’imagerie par résonnement magnétique (IRM) pour détecter les différentes régions cérébrales activées. En plus des régions frontales, certaines structures du cortex pariétal et temporal étaient actives, les mêmes qui furent proposées par Vincent et ses collègues (2007) comme étant le siège de la conscience.

Qu’en est-il alors de la conscience de l’esprit par rapport au cerveau ? Peut-on parler de deux entités distinctes ? Une question particulièrement pertinente à l’hypothèse de la virtualité du réel est de savoir si les actes de nos rêves font appel aux mêmes circuits neuronaux que lors de l’éveil. La réponse, il semblerait, se trouve à mi-chemin entre la philosophie, la parapsychologie et la neurologie… ou dans une bonne nuit de sommeil !

 


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