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Daniel Brière

Co-auteur et co-metteur en scène de Ronfard nu devant son miroir et co-directeur artistique du NTE

Le Délit (LD): Quelle était votre relation avec Jean-Pierre Ronfard et son œuvre ?

Daniel Brière (DB): Pour Évelyne et moi, c’était un homme important, car il a été notre premier employeur. Celui qui nous a donné notre première chance, qui nous a fait confiance, avec qui on a développé notre assurance d’acteur, pour se dire enfin « Ah ! Ben tiens, j’ai ma place ». C’était aussi une rencontre importante parce que j’ai fait la découverte d’une autre façon de penser et de voir le théâtre. Au Conservatoire [d’art dramatique de Montréal], on apprend les bases, Stanislavski entre autres, comment jouer, le rapport avec le public. Avec Jean-Pierre, c’était l’expérimentation. J’ai pu travailler auprès de Jean-Pierre un an avant son décès, et il m’a demandé de reprendre la codirection artistique du NTE. Évelyne, qui n’est pas allée à l’école de théâtre au Québec, qui a étudié en France, elle n’avait aucun réseau en arrivant. Puis, Jean-Pierre s’est intéressé à son théâtre. L’homme nous a marqué parce que ses œuvres, malgré qu’elles ne soient pas devenues des classiques, était un personnage, un mentor. Il a été un grand intellectuel, il était très curieux, intéressé et pas du tout prétentieux.

LD : Le titre Ronfard nu devant son miroir fait allusion au tableau de Kirchner. Pouvez-vous expliquer davantage le titre par rapport à la pièce ?

DB : Évelyne et moi aimions cette façon de nommer les tableaux : de tout dire ce qui est là, ce qui est peint, « Jeune fille couché sur l’herbe devant…» Nous aimions aussi cette idée du miroir, Ronfard face à lui-même, à son reflet, son image multipliée. Essayer de nommer cet homme innommable en évoquant ses multiples facettes. Le miroir, c’est ce qu’on ne voit pas, c’est la réflexion du sujet, voir donc ce qui n’est pas visible, trouver ce qui n’est pas visible.

LD : Dans la pièce, on peut lire la phrase « La caméra est au théâtre contemporain ce que le tutu est au ballet classique. » projetée sur le mur. Comment définiriez-vous le théâtre contemporain ?

DB : C’est une phrase inspirée de Jean-Pierre. Il détestait la fumée, la boucane, qu’on utilisait au théâtre et il avait lancé cette phrase, « La fumée est au théâtre contemporain…». Aujourd’hui, c’est la caméra qui est un cliché ; les acteurs qui parlent à la caméra, suivis par la caméra… Nous avons repris cette phrase et nous l’avons adapté pour parler d’image, de présence et, bien sûr, c’est un clin d’œil à Jean-Pierre.

Le théâtre contemporain, c’est la provocation, le in-your-face theater, les spectateurs qui se font engueuler, la sexualité sur scène, des scènes très crues, de la cruauté, du sang. Le théâtre contemporain n’a‑t-il pas créé ses propres clichés ? Le choc est presque attendu.

Les Allemands sont revenus de ça. Une femme me disait, « Vous savez, on a vu des acteurs se sodomiser sur scène, c’est ennuyant. » Ils vont monter des classiques, mais en changeant les fins, le texte. Les metteurs se permettent extrêmement de choses. C’est une liberté au niveau du sens, sur le texte. Œdipe à Colone, le seul passage de Jean-Pierre qu’on a intégré, évoque cette idée. Jean-Pierre refusait la finale, il disait que la mort volontaire est une chose épouvantable. C’était de la provocation à son époque.

LD : Vous parlez beaucoup de liberté. Quelle est-elle ? Et la liberté artistique ?

DB : C’est déjà à plusieurs niveaux. Il faut se libérer soi-même, se libérer de tout ce qu’on a appris, comme acteur, metteur en scène. On sait jouer, on connaît le rapport au public, c’est intégré depuis des années ; il faut se départir de tout ce qui est là à la base, repartir de la page blanche, aller à des zones plus inconfortables, formater des spectacles. L’industrie culturelle nous donne des modèles de réussite, Wajdi Mouawad, Robert Lepage, le Cirque du soleil. Ce sont des camarades, mais ces modèles briment aussi la liberté, car on nous dit, le succès, la réussite, c’est ça. Notre recherche en tant qu’artistes, c’est chercher de nouvelles formes, ne pas rester dans le moule, dans le carcan, se libérer de notre propre conception, d’un point de vue de la société, du subventionneur, des politiciens qui vont voir ce qu’on fait. Enfin, on aime bien travailler avec des contraintes, ce qui est un peu paradoxal, on va élaborer une dramaturgie particulière, un cadre particulier. On ne veut pas ennuyer les spectateurs, mais on ne veut pas leur donner ce à quoi ils s’attendent.


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