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Mariage arrangé

Webmestre, Le Délit | Le Délit

L’idée est géniale. Un hôtel géré à la manière de Robin des bois qui offrira des services quatre étoiles aux clients riches et redistribuera les bénéfices aux quartiers défavorisés de la communauté. Non, ce n’est pas un conte de fée, c’est ce que le futur Écol’hôtel K compte faire à partir de juin 2012. Situé à Trois-Rivières, il sera le premier hôtel éco-responsable, éco-géré et éco-construit au Canada.

Anabel Cossette Civitella | Le Délit

Jeanne Charbonneau, la directrice générale de l’organisme Vire-Vert qui entreprend le projet, se présente comme une femme d’affaires : « Le principe premier reste de faire de l’argent, mais cet argent sera finalement réinvesti dans des infrastructures communautaires en suivant les principes de l’économie sociale. »

Ce projet de dix millions de dollars, en plus d’être une entreprise d’économie sociale de très grande envergure, sera le premier hôtel de luxe utilisé comme laboratoire d’immersion en développement durable. En effet, cette école sera la seule option disponible pour les étudiants en hôtellerie, en restauration et en tourisme désirant se spécialiser en éco-gestion hôtelière. « Par exemple, un étudiant en cuisine pourra assister et pratiquer de nouvelles approches culinaires aux fourneaux de l’hôtel K », assure Jeanne Charbonneau. Attention toutefois ! L’hôtel s’engage à former des étudiants polyvalents qui devront tenir alternativement les rôles de femme de chambre, de portier, de concierge et de gestionnaire, afin de garder en tête que TOUT doit être gérer de manière écologiquement responsable. Le personnel aura un salaire plus élevé que la moyenne, puisque leur mandat s’étendra à la supervision de stage.

Écologiquement quoi ?

Avec tout ces « éco », il est difficile de s’y retrouver, surtout à une ère où il est facile de se faire green-washer. L’éco-responsabilité fait partie du principe de développement durable, et vise à développer et à consommer toutes sortes de produits, sans mettre en péril pour autant le bien-être des générations futures. Si l’on parle d’éco-gestion, d’éco-construction ou d’éco-responsabilité, ces termes impliquent que l’environnement, la culture et l’économie –les trois sphères qui caractérisent la société moderne– seront prises en compte également dans la planification et la mise en marche d’un projet.

L’hôtel K –qui doit son nom à la sonorité commune d’éCologie, d’éduCation, d’éConomie et de Culture– sera construit selon les normes nord-américaines en Leadership in Energy and Environmental Design (LEED). Cela implique que les matériaux devront être achetés localement pour qu’un minimum de gaz à effet de serre soit émis (en termes de transport, par exemple), que l’efficacité d’énergie, de chauffage et de consommation d’eau devra être maximale, et que les surplus de matériaux devront être réutilisés. Réduire, réutiliser et recycler sont les trois grands R, les trois lignes directrices du développement durable.

Boutique à aide sociale

Le projet de l’hôtel K en est maintenant à l’étude des plans et du devis, mais bientôt, Vire-Vert lancera un appel d’offres pour commencer la construction. « Les gens de la communauté sont les bienvenus pour proposer leurs idées », rappelle Jeanne Charbonneau. En passant, la directrice exhibe fièrement des plans proposés par des étudiants qui souhaitent améliorer le projet : une cartographie des pistes cyclables environnantes réalisée par un étudiant en géographie, un design thématique pour chaque chambre conçu par des étudiants en architecture, etc. Et ce n’est pas tout ! L’hôtel K se pense comme un « hôtel-boutique », un lieu où tout est à vendre, des plats préparés localement, aux meubles et aux œuvres des artistes de la région qui habillent les chambres. Ainsi, en plus de donner une visibilité à la culture locale, l’hôtel favorisera le développement économique et touristique de la Mauricie.

Les citoyens d’ici et d’ailleurs sont aussi les bienvenus s’ils veulent participer à la compétition de design intégrée qui se déroulera le 1er et le 2 avril. Le concept est le suivant : lors d’un concours de design, des équipes multi-disciplinaires tâcheront, en quarante-huit heures, de concevoir un design original et fonctionnel pour l’hôtel, en utilisant uniquement des matériaux trouvés à Trois-Rivières. « La première charrette [compétition] a eu un vif succès l’an dernier et nous espérons encore de bons résultats cette année », annonce la directrice, rayonnante de fierté.

Ce qui en fait une entreprise d’économie sociale réside toutefois en la distribution des profits à des projets communautaires. Par exemple, Vire-Vert pourrait installater un composteur industriel afin de desservir le quartier, puis la ville. Les fonds supplémentaires seraient utilisées pour encourager les plus petites entreprises d’économie sociale de la région comme Bouff’elle, une entreprise de traiteur gérée par des femmes ayant de la difficulté à trouver un emploi.

Anabel Cossette Civitella | Le Délit

Responsabilité sociale et Cie

À la Maison de la Solidarité de Trois-Rivières, Lynn O’Cain prend la parole devant une vingtaine de personnes participant à la 8e édition du Colloque des Campus Durables. Le but de sa visite est d’introduire un concept encore méconnu : l’économie sociale.
« L’économie sociale, c’est un mariage plutôt forcé entre l’économie et les valeurs sociales, c’est une économie au service des gens, annonce-t-elle en matière d’introduction. On veut ultimement que l’industrie soit viable, donc on souhaite des profits, mais dans le but de les réinvestir dans la société. »

L’économie sociale se présente donc comme une possibilité de remplacement au développement économique traditionnel. Il n’y a pas d’enrichissement de l’individu, pas d’actionnaire, et l’entreprise permet de créer des emplois durables (avec un salaire plus élevé que le salaire minimum) accessibles à toutes les tranches de la société, que ce soit des personnes bien portantes, handicapées ou en difficulté financière. Lynn O’Cain informe cependant que la friperie située au sous-sol d’une église n’est pas une entreprise d’économie sociale : « Il faut distinguer l’économie sociale des services communautaires, parce que c’est une industrie qui vend et qui cherche à faire des profits. »

Anabel Cossette Civitella | Le Délit

Naissance d’un mouvement

Existant depuis 150 ans au Québec, l’économie sociale est un retour aux sources après le capitalisme sauvage de la Révolution industrielle du XIXe siècle. Les instigateurs du mouvement, au départ, étaient les coopératives d’ouvriers qui réunissaient de l’argent dans un « pot » commun. Dans les dures conditions de travail à la chaîne, il n’était pas rare qu’un travailleur meurt à la suite d’un accident. Les ouvriers se cotisaient donc chaque mois et créaient un compte de réserve afin de payer les services funéraires qui, autrement, ruineraient la veuve et sa famille lorsque le malheur frappait.

C’est la marche des femmes « Du pain et des roses » qui a mis l’économie sociale sur l’agenda du gouvernement québécois en 1995. Suite à cette marche de dix jours, durant lesquels des centaines de Québécoises protestaient contre la pauvreté endémique qui sévit encore, le Sommet sur l’économie et l’emploi mis en place par le gouvernement de Lucien Bouchard a démontré le caractère essentiel de l’économie sociale. « Osons la solidarité » est un document qui met l’accent sur la lutte contre le travail au noir, sur les entreprises de réinsertion et sur les services de proximité.

Un exemple plus connu d’économie sociale ? La Caisse populaire Desjardins, à ses débuts, en réunissait toutes les caractéristiques : ses membres payaient une cotisation afin d’être les gestionnaires de l’entreprise, et l’on redistribuait les bénéfices au sein de la société. Encore aujourd’hui, les bourses de la Fondation Desjardins sont généreuses pour la collectivité. Les coopératives scolaires sont aussi un exemple d’économie sociale, ainsi que les centres de la petite enfance (CPE).

Raphaël Thézé | Le Délit

Partout sur le globe

Le mouvement ne se trouve pas seulement au Québec. Si les Organismes à but non lucratif (ONBL) sont propres au Québec, la France et la Belgique sont très fortes en coopératives d’habitation. En Amérique latine, ce sont plutôt les produits de subsistance et de manufacture qui font l’objet d’entreprises sociales. Ainsi, tout dépend de la culture et de la problématique locale.
Mme O’Cain souligne l’intérêt de telles pratiques : « Être membre d’une coop’, c’est une belle motivation à ne pas être uniquement consommateur, mais aussi gestionnaire. » En effet, l’implication citoyenne reste le but premier de l’économie sociale. Qu’on démarre ce type d’entreprise, qu’on y travaille, qu’on y fasse un stage ou qu’on en consomme les produits, tout a une « valeur ajoutée » considérable, qui est redistribuée à la communauté.

Jeanne Charbonneau, directrice du projet de l’hôtel K tire d’ailleurs son inspiration d’un exemple sénégalais d’écotourisme. L’éco-village de Bamboung a pris racine dans la première aire marine protégée au Sénégal. Afin de stopper la surexploitation des réserves de poisson côtières, les habitants d’une petite communauté, aidés d’un biologiste local, ont pris en charge la construction d’un village fait entièrement de matériaux locaux, auto-suffisant et séduisant pour les touristes occidentaux. Aujourd’hui, le village est une source de revenus importante pour la région, et l’aire marine est presque revenue à son état initial.

Une interdépendance nécessaire

Toutes les entreprises ne peuvent évidemment pas suivre tous les principes de l’économie sociale. Pourtant, toutes les entreprises sont maintenant obligées d’adhérer plus ou moins à des valeurs sociales, car les premières sont au cœur de la société. Les citoyens font pression pour que les entreprises prennent leurs responsabilités. « Si l’entreprise n’a pas compris les besoins des clients, si elle n’a pas compris les besoins de la collectivité, alors elle est vouée à l’échec » explique Wisi Ossavu, un agent de projet en environnement pour Vire-Vert.

Savoir doser parfaitement société, environnement et économie relève toutefois du défi. En 2001, The Body Shop, un magasin de soins de beauté, s’est engagé à être socialement responsable : l’entreprise refuse de tester ses produits sur les animaux, achète des produits équitables, s’engage dans la lutte pour les droits des travailleurs, adhère à l’énergie renouvelable, réduit sa consommation d’eau et choisit de ne pas avoir de département marketing ni de publicité, afin de ne pas promouvoir la surconsommation. De 2001 à 2002, le bénéfice net du Body Shop chute de 43%. En fait, en coupant dans la publicité, le magasin n’arrivait pas à publiciser ses bonnes actions sociales… Cet exemple prouve que « économie », « social » et « environnement » sont des sphères interdépendantes. En ne voulant pas faire de green-washing, ils ont laissé de côté le « marketing durable ».

Toutefois, attention au green-washing, cette tendance qu’ont les grandes compagnies à s’engager socialement pour mieux faire passer leurs abus. Wisi Ossavu met d’ailleurs en garde contre Wal-Mart : « Dans les prochaines années, Wal-Mart nous prépare des avancées en responsabilité sociale assez révolutionnaires, mais ce n’est pas parce qu’ils vont prendre certaines décisions (comme réinvestir dans la communauté) qu’ils vont respecter les normes syndicales, cesser de tuer les petites entreprises aux alentours ou arrêter d’acheter à moindre coût des produits faits en Chine. »

Finalement, les avantages de l’éco-responsabilité des entreprises et de l’économie sociale sont nombreux : meilleure performance, meilleure réputation, confiance, crédibilité et surtout, des investissements qui auront un impact durable sur le bien-être de la collectivité. Pour un avenir juste, vert et en santé.


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