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La Berlinale dans tous ses états

True Grit, le film hors compétition des frères Cohen a ouvert le 61e Festival international du film de Berlin jeudi dernier. Depuis, les projections battent leur plein dans la capitale allemande où journalistes, inconditionnels amoureux du septième art et autres curieux bravent les interminables files d’attente pour voir, en primeur, les fils en −et hors− compétition. Sur la Potsdamerplatz, qui abrite l’événement depuis l’an 2000, l’ambiance est plus que chaleureuse. Retour sur quatre des seize films en compétition.

Gracieuseté de la Berlinale – Festival International du Film de Berlin

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Margin Call : l’humanisation de la crise financière

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Au cœur de l’industrie financière, de hauts décideurs entament une période de vingt-quatre heures qui mène à la crise financière de 2008. Le jeune Peter Sullivan (Zachary Quinto) découvre des informations cruciales sur l’avenir catastrophique de la firme pour laquelle il travaille. Au bord du désastre économique, les dirigeants de l’entreprise doivent décider de la marche à suivre afin de contenir les pertes financières. Dans le chaos des chiffres et des analyses qui prouvent la faillite de l’entreprise et étourdissent avec véracité le spectateur, s’élèvent différentes voix plus ou moins avides et hypocrites, dont celle de John Tuld (interprété par l’excellent Jeremy Irons), patron sans scrupule, et celle, terriblement humaine, de Sam Rogers, son second (qu’incarne avec son habituel talent l’acteur Kevin Spacey).

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Comme le soulignait Kevin Spacey lors de la conférence de presse suivant la projection, Margin Call vise à dévoiler « la face humaine des événements de 2008 ». Mettant en scène des gens que Spacey qualifie d’«ordinaires, pas nécessairement guidés par une avidité excessive, mais qui devaient obéir à des ordres », ce film montre en fait l’avidité comme un phénomène de collectivité, ainsi que l’explique J.C. Chandhor, le réalisateur : « Nous agissons, en tant que pays, de manière très, très avide en ce moment. Quand une culture entière est fondée sur ce défaut, même s’il n’est pas excessif, le système ne peut qu’échouer. » Alors que Jeremy Irons rappelait le besoin permanent de moralité pour contrebalancer le consumérisme de nos sociétés, Spacey en profite pour faire un parallèle avec les difficultés, dans l’industrie cinématographique, de produire des films de qualité avec des budgets limités. Neal Dodson, le producteur, soulignait alors l’ironie de soulever des fonds pour un film sur la crise financière pendant que celle-ci avait lieu.

Margin Call est une véritable réussite, portée par des acteurs d’exception, dont on ne peut qu’espérer qu’elle sera dignement récompensée par le jury du Festival.

Gracieuseté de la Berlinale – Festival International du Film de Berlin

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El primo : une enfance en Argentine

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Dans El Primo, Paula Markovitch explore à la fois les traces et les séquelles de la dictature militaire argentine dans la vie quotidienne de gens ordinaires, et la beauté magique et innocente de l’enfance. La protagoniste, Ceci (la remarquable jeune actrice Paula Galinelli Hertzog), intelligente et vive, vit avec sa mère Silvia (Laura Agorreca) au bord d’une mer orageuse, après avoir fui Buenos Aires et l’armée. Dans l’attente du père dont on ne sait s’il est encore vivant, Ceci va à l’école, où elle participe à un concours organisé par l’armée visant à en faire l’éloge. L’enfant, qui a raconté la véritable histoire de ses parents et critiqué ouvertement l’armée, est sauvée à la dernière minute par sa mère qui la force à écrire une apologie du système, celle-ci lui permettant de gagner le concours. Malgré la qualité du jeu des actrices principales, la subtilité du scénario et la qualité esthétique du film, El Primo reste marqué par une lenteur qui se transforme en longueurs regrettables. Les scènes dans lesquelles Ceci joue dans le sable, dans la cabane ou avec sa camarade d’école perdront le spectateur qui se lassera de ces plans pourtant magnifiques. Reste à voir si le jury du Festival sera séduit par ces éléments, ou épuisé par ces quelques séquences trop longues.

Gracieuseté de la Berlinale – Festival International du Film de Berlin

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Le sommeil de l’Afrique selon Ulrich Köhler

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Dans Schlafkrankenheit, Ulrich Köhler met en scène une Afrique magnifique, sauvage et qui semble pourtant endormie. Établie à partir des souvenirs du réalisateur, qui a passé plusieurs années sur le continent africain pendant sa jeunesse, cette histoire est celle d’Ebbo Velten (Pierre Bokma). Ce médecin responsable d’un programme de soins de la maladie du sommeil est un homme divisé entre son attachement à un pays et au mode de vie qui l’accompagne, et son amour pour sa femme Vera (Jenny Schilly), attirée par un retour en Allemagne d’où elle est originaire et où sa fille de quatorze ans, Helen, étudie dans un pensionnat. Quelques années après sa séparation d’avec sa femme, Ebbo reçoit Alex Nzila, Parisien d’origine congolaise, qui doit évaluer l’efficacité et la pertinence du centre de soins. Le choc des cultures est intense entre les deux personnages, loin de toute caricature. En montrant la complexité de la vie des Européens en Afrique, Köhler souhaite explorer, à travers la vie d’Ebbo, « l’aliénation des gens qui sont trop loin de leur pays ». La volonté du réalisateur de traiter de diverses thématiques (entre autres, le tabou de l’homosexualité, les problèmes du système médical et l’aide au développement accordée aux différents pays africains) sans rien appuyer outre mesure ne manquera pas d’en déstabiliser plus d’un.

Gracieuseté de la Berlinale – Festival International du Film de Berlin

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L’esthétique et les bons sentiments de Michel Ocelot

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Dans une petite salle de cinéma, trois personnages en ombres chinoises (créées par images de synthèse) décident de raconter et de jouer des contes. Ainsi débute Les Contes de la nuit, film d’animation en trois dimensions de Michel Ocelot. À travers cette mise en abyme, le réalisateur explique avoir eu envie de partager le plaisir du conteur. Ces contes sont plus ou moins inspirés de récits préexistants, même si Ocelot affirme ne pas vouloir reprendre des écrits finis tels quels. On reconnaîtra néanmoins la trame traditionnelle des contes, dont il ne s’éloigne que très, voire trop, subtilement. Le réalisateur, qui n’hésite pas à expliquer que les contes de fées constituent « son langage », aurait pourtant gagné à mettre autant d’originalité dans ses histoires que dans l’esthétique, par ailleurs aussi réussie que dans ses précédentes réalisations. Celle-ci est peu enrichie par l’utilisation de la 3D, qu’Ocelot qualifie de « nouveau jouet » utilisé malgré sa volonté de mettre la technique au second plan. En effet, ce procédé très en vogue n’apporte pas grand-chose aux dessins. Par ailleurs, les couleurs sont magnifiquement contrastées entre des silhouettes noires et les coloris éclatants des paysages. Un dernier bémol : il manque aux récits un deuxième niveau qui permettrait au public adulte de se sentir concerné et séduit autrement que par l’esthétique. Les Contes de la nuit reste en effet un film pour enfants qui risque d’ennuyer rapidement un public plus âgé.


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