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Voyage au coeur de la marginalité

Dans Justine, la bédéiste québécoise Iris invente un univers loufoque et réaliste.

Justine, une adolescente sympathique un peu immature, vit à Gatineau en colocation avec Manon, une femme antipathique et tyrannique. Coincée dans un fauteuil roulant, celle-ci cache à Justine un passé quelque peu mystérieux que la jeune héroïne, poussée par une impertinente curiosité, finira par découvrir. L’univers de Justine se cantonne principalement à cette colocation jusqu’au jour où elle obtient un emploi de secrétaire au centre sportif Les Fils du King. Ce lieu qui a tous les attributs d’une secte propose à ses adeptes marginaux et originaux des séances de remise en forme sur des airs d’Elvis.

Gracieuseté les éditions La Pastèque
Dans cet étrange endroit, Justine expérimente un monde du travail plutôt particulier. Son patron, Aaron, est en effet un escroc qui n’hésite pas à faire payer à ses clients 500 dollars pour une supposée mèche de cheveux du célèbre chanteur de rock. La jeune fille y rencontre aussi, entre autres gens déboussolés, Guillaume. Ce jeune homme, charmant mais pour le moins perturbé, prend plaisir à se déguiser quotidiennement, de façon irrationnelle mais terriblement touchante. Son passé tourmenté, ponctué notamment par un séjour en hôpital psychiatrique, est évoqué subtilement à travers les yeux d’adolescente inquiète et sentimentale de Justine.

Alors qu’il se présente comme un album traditionnel par son découpage en cases régulières et sa trame principale (une histoire d’amour adolescent), Justine surprendra ses lecteurs grâce aux carnets de Guillaume et à un épilogue particulièrement savoureux. Les carnets, dessinés par Skin Jensen, retracent, dans un dessin enfantin, une sombre histoire grâce à laquelle on comprend le comportement perturbé et perturbant de Guillaume. L’épilogue propose quant à lui une série de portraits agrémentés d’anecdotes sur l’avenir de Justine et de ses acolytes, sorte de retour teinté d’humour sur chacun des personnages, ce qui renforce avec subtilité leur réalisme.

Récit complètement inventé malgré ses airs autobiographiques, Justine fait indéniablement penser, par son atmosphère décalée et son univers trash, aux œuvres de Daniel Clowes (on pensera entre autres à Ghost World), d’ailleurs une des sources d’inspiration de l’auteur. Le mélange entre les dessins et le style narratif, qui sont très simples, l’ambiance et les thèmes (la solitude, la marginalité, etc.), inquiétants et originaux, est subtil et très réussi. C’est d’ailleurs ce décalage entre l’attachant et l’étrange qui donne sa force à l’album et permet au lecteur de passer outre le dessin parfois trop naïf pour se concentrer sur la justesse de ces personnages loufoques évoluant dans l’univers réaliste d’une banlieue dans laquelle on n’est pas vraiment sûr de vouloir habiter.

Grâce à sa mise en scène réussie d’une communauté fragile et fragmentée dont les membres ont perdu leurs repères, Justine, édité par La Pastèque, est donc un divertissement qui saura séduire son public.


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