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Une révolution dîtes-vous ?

Les différents acteurs de la Révolution tranquille se sont retrouvés mercredi dernier au musée McCord 50 ans après.

La discussion, organisée par l’Institut des études canadiennes et le Programme d’études sur le Québec, a débuté avec Louis Bernard, alors conseiller au gouvernement Lesage, qui a présenté le contexte de 1964 à 1970 en mettant l’accent sur l’évolution des relations entre le Québec et le Canada.

Puis, Claude Castonguay a relaté son implication dans l’établissement du régime de retraites et de la Caisse de dépôt et placement du Québec. Il a d’ailleurs incité sur l’impact de ces deux institutions sur l’amélioration de la qualité de vie des ainés au Québec et la possibilité pour l’état québécois de financer des projets d’envergure.

Le sociologue Guy Rocher, membre de la commission Parent de 1964, a mis de l’avant le rôle de l’intelligentsia de l’époque, constituée de jeunes intellectuels qui, par exemple, agissaient à travers Radio-Canada et l’Office national du film. Leur contribution a bouleversé plus que jamais la balance des pouvoirs au sein de la société québécoise. Guy Rocher a pris part à la commission Parent en 1964, ce qui a marqué un tournant dans la réforme du système éducatif.

La discussion est devenue particulièrement intéressante lorsque le médiateur Kenneth McRoberts a questionné les panélistes sur les succès et les échecs de la Révolution tranquille. Pour M. Rocher, l’éducation représente à la fois un succès et un échec. La réforme de l’éducation, dont il est l’un des instigateurs, a facilité l’accès des Canadiens français à l’éducation, particulièrement au niveau postsecondaire. Cependant, pour le sociologue, la grande place qu’occupe encore le privé dans notre système d’éducation montre que la démocratisation de celui-ci, but premier de la réforme en éducation, est loin d’être accomplie.

La Révolution tranquille semble donc être le point de rupture dans l’évolution de la société québécoise, mais peut également paraître comme un poids pour les générations actuelles, devant trouver des solutions aux nouveaux enjeux qui ont été engendrés par cette dite « révolution ».

Pour le second panel, c’est l’ancien premier ministre Bernard Landry qui a ouvert la marche. Son argumentation tenait sur la remise en question de l’utilisation du terme « révolution » pour désigner les années Lesage et a soutenu que les années 1960 au Québec ont plutôt favorisé une « mise à jour ». Il a aussi réitérÉ les principaux thèmes derrière l’engagement de l’État dans la société : la décolonisation au niveau économique et linguistique, l’éducation, ainsi que la laïcisation.

M. Gregory Baum, théologien et sociologue d’origine allemande ayant vécu ici et étudié le Québec, a renchérit sur le point de la laïcisation, particulièrement sur le rythme auquel s’est fait la séparation entre l’État et l’église pendant la Révolution. Il a évoqué le paradoxe entre les actions symboliques païennes et la prétendue laïcité des Québécois.

Finalement, Mme Françoise Sullivan, danseuse et sculpteuse influente au Québec et signataire du manifeste Refus Global, a décortiqué le grand mouvement d’avant-garde artistique des années 1940 et 1950. C’est Montréal, et non New York ou Paris, qui a vu naître cette manifestation de modernisme, alors que la province était toujours plongée dans la Grande Noirceur.

Les considérations de M. Landry et de Mme Sullivan sont particulièrement intéressantes puisqu’elles apportent des nuances à cet épisode historique. Cinquante ans plus tard, les Québécois et les acteurs de la Révolution tranquille sont capables d’un peu plus de modération dans leur analyse.

M. Bernard Landry a remis en question la présence d’une véritable révolution dans les domaines économique, politique et social. Est-ce que le domaine du développement des ressources naturelles a été bouleversé avec, par exemple, en 1906, l’idée de la nationalisation de l’hydroélectricité ? Est-ce que l’arrivée de l’Équipe du tonnerre marquait un chavirement ? Mise en perspective, la Révolution tranquille a peut-être finalement été plus tranquille que révolutionnaire.

En dépit de ce questionnement terminologique, peu importe le nom que nous donnons aux années 1960 aujourd’hui, l’effervescence de l’époque semble indescriptible –ou du moins étrangère au cynisme politique d’aujourd’hui– et son impact sur la société québécoise incontestable. « C’était une époque où tout était à faire ! », ont lancé Louis Bernard et Claude Castonguay.

Au-delà des réformes, ce qu’il reste aujourd’hui des années Lesage est une conception mythique de l’époque des grands changements. Il s’agit peut-être là d’un des legs les plus importants et immobilisant à la fois. Autant la fierté du peuple québécois face à cette Révolution est bénéfique pour la nation, puisqu’elle permet de solidifier sa conscience collective, mais elle peut aussi se transformer en une nostalgie malsaine, bloquant toute action.

Puisque toute société est en perpétuelle évolution, comme nous le disait Gregory Baum, il est logique que nous estimions que les réformes de la Révolution tranquille n’aient pas tout réglé. Toutefois, pour ce sortir de ce « blues postrévolutionnaire », il faudrait attendre une aussi grande effervescence que celle vécue à l’époque.

En effet, les multiples éléments présents en 1959 –le déclin du clergé, la mort de Maurice Duplessis, ainsi que le baby-boom et l’industrialisation croissante– sont des éléments uniques qui n’ont pas d’équivalence à notre époque. C’est sûrement d’ailleurs la raison pour laquelle cet événement continue de fasciner, et ce, cinquante ans plus tard.

Comment nous, jeunes universitaires, nous plaçons-nous dans ce modèle ? D’abord demandons-nous ce qu’il se passera lorsque cette génération partira : Que nous lèguent ces penseurs, anciens acteurs cruciaux du changement ?

La génération post-Révolution tranquille a la tâche de matérialiser les problèmes soulevés dans les années 1960. Que ce soit la place du Québec dans le Canada, l’économie de la belle province, ou encore la question de la souveraineté, toutes ces questions font maintenant face à des enjeux plus globaux tels que mondialisation, ou immigration.

Comment allons-nous poursuivre ou révolutionner les acquis établis au cours des cinquante dernières années ? La société actuelle jouit des bases de la Révolution tranquille, mais doit à son tour y contribuer. Tout semble être fait, et tout reste à faire.

La Révolution tranquille ne doit donc pas demeurer un mythe intouchable. D’ailleurs ceci serait contraire à l’idéologie initiatrice de toutes ces admirables voix de la Révolution.


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