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Les yeux de lynx

Après une dizaine d’années de recherches et de documentation, Louis Hamelin fait enfin paraître La Constellation du lynx à temps pour le quarantième anniversaire d’Octobre 1970. 

Dans cette vaste fresque romanesque, un « tâcheron de la plume » du nom de Samuel Nihilo (notez le subtil anagramme) se lance la tête la première dans une enquête cherchant à éclaircir les nombreuses taches d’ombre encore présentes aujourd’hui dans cette crise politique qui a marqué le Québec. Le récit en chassé-croisé fait pénétrer le lecteur au cœur des motivations de ceux qui ont participé de près ou de loin à l’affaire, que ce soit les membres des cellules terroristes, les acteurs politiques ou encore les agents des services secrets. 

En entrevue avec Le Devoir, Louis Hamelin a décrit La Constellation du lynx comme l’œuvre d’un pamphlétaire s’en prenant à la version officielle des événements. L’écrivain dénonce tout particulièrement la thèse de l’innocence de la police, de l’armée, et du gouvernement dans la mort du Ministre du Travail Pierre Laporte (Paul Lavoie dans le roman). La Constellation du lynx apporte donc de l’eau toute neuve au moulin de Jacques Ferron et Pierre Vallières, qui avaient déjà crié au complot par le passé.

Après une décennie de travail, on a envie de croire à l’alternative d’Hamelin. C’est ainsi qu’on en est venu à citer La Constellation du lynx comme référence dans un article du Devoir sur les « théories conspirationnistes » (30 septembre). Jacques Godbout lui-même aurait déclaré dans un communiqué de la maison d’édition du Boréal que « plus personne n’osera parler de ces événements sans se référer à La Constellation du lynx ».

Qu’est-ce qui cloche ici ?

De telles affirmations sur le livre, remâchées par des journalistes avides de manchettes, me semblent contestables. En faisant de La Constellation du lynx un document historique, un moyen d’approfondir notre connaissance des faits et de donner un portrait fidèle d’Octobre 1970, les média se perdent –et nous perdent– dans un argument fallacieux et finissent par se détourner de la nature même du projet d’Hamelin : écrire un roman. 

Peut-être est-ce le romancier lui-même qui brouille les cartes ; s’il prétend dans une entrevue avec Le Devoir dévoiler 100% de la vérité historique, il se retranche en d’autres lieux derrière l’art romanesque, sa liberté, son imagination, afin de contester cette ambition de vérité que tous ont applaudi chez lui depuis la parution de La Constellation du lynx. « Mon livre n’est pas un essai », insiste-t-il. Contrairement à l’historien, le romancier n’est pas tenu de se maintenir dans la simplicité d’une interprétation unique. Ce n’est donc pas pour rien que l’enquêteur, dans le livre, est un écrivain. « Êtes-vous conspirationniste ? », lui demande-t-on au tout début. Et lui de répondre : « Sceptique, plutôt. »

Si Hamelin a choisi d’emprunter les « voies et détours de la fiction », il me semble que c’est plutôt parce qu’il a voulu explorer la complexité d’un événement qui ne fait toujours pas consensus parmi les historiens. Octobre 1970 a marqué l’histoire, mais il est aussi devenu histoire à travers de multiples interprétations. Le roman se présente donc comme un terrain tout désigné pour interroger notre manière de fabriquer les récits qui nous définissent : « Peut-être que les explications que nous cherchons ne sont jamais que des approximations, des esquisses chargées de sens ». Les yeux de lynx d’Hamelin sont tout entiers dans cette phrase. 


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