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Flagrant délit de tendresse

Épisode 18
Résumé de l’épisode précédent :
Delilah est ambivalente dans ses sentiments envers l’espoir olympique. Francis, quelques bières dans le corps, se présente à sa porte. Notre héroïne flanchera-t-elle ?

Ses cheveux blancs jaunis par la nicotine ramenés derrière les oreilles, il se lèche les lèvres en anticipant le festin charnel auquel il s’apprête à prendre part. Sa voiture roule tranquillement dans la rue où les âmes perdues viennent s’échouer. Au coin Ontario et Papineau, il ralentit. Il sait que la chair fraîche dont il veut se délecter se trouve ici, non loin. Il se penche sur le siège côté passager et baisse la vitre. Arrêté à un feu rouge, il voit celle qui satisfera ses bas instincts.

-You want to go for a ride honey ? dit-il, un sourire sardonique fendant ses lèvres aux commissures brunâtres.

Un objet contondant frappe la vitre, à quelques centimètres de son visage, et la fait voler en éclats. Une main, qui semble avoir connu plus d’un combat, s’introduit dans la voiture et débarre la portière. Cette main agrippe la tignasse filandreuse et grasse de l’homme et tire celui-ci hors de la voiture. La tête dans un nid de poule, des coups font convulser son vieux corps. Avant de sombrer dans de noires abysses, il voit sa voiture s’éloigner, impuissant.

* * *

« And I feel pretty… pretty enough for youuuuu ! I felt so ugly before, didn’t know what to do… That somebody wants you, someone that’s more for real.…» Delilah chante sa nouvelle chanson préférée, une rengaine d’Elliott Smith, tout en se préparant à aller au lit. Elle a soudainement l’impression que les paroles ont été écrites tout spécialement pour elle. En voyant le visage de son beau hockeyeur la veille à la télévision, elle avait pris conscience qu’elle ne voulait pas d’un homme qui vivait dans l’espoir d’une médaille. Elle avait déjà donné avec Richard et ses rêves de manuscrits byzantins. Comme Émilie Bordeleau, elle avait besoin d’un homme vrai, fort et manuel… Elle s’imaginait très bien son bel étudiant, vêtu uniquement d’une salopette de travail, le visage luisant de sueur, les mains noircies par le labeur, lui construisant une cabane en Canada…

- I think I’m ready to give him another chance, Em’, glousse malicieusement Delilah.

- Oh my God!!! Oh my God!!!, hurle Emma, en reversant son Earl Grey sur la nappe de dentelle.

- Stay with me while I call him, or else I don’t know what I’m going to say !, dit Delilah en levant de table.

Elle pose la main sur le téléphone et celui-ci, au même instant, se met à sonner.

- Oh my God, Del’! That’s a sign !, lance Emma, surexcitée.

Rayonnante de bonheur, Delilah répond. Emma voit le visage de son amie se décomposer à mesure que les secondes s’écoulent. Au bout d’un moment, Delilah acquiesce et raccroche.

* * *

Elle entre dans l’hôpital, incertaine de l’endroit où elle doit se rendre. Voyant un agent de sécurité venir vers elle, elle l’intercepte.

- Excusez-moi… Le pavillon Lachapelle, c’est où ?

- Quelle chambre cherchez-vous
exactement ?

Elle lui donne le numéro, qu’elle avait précipitemment grifonné sur un morceau de papier avant de se précipiter à l’hôpital.

- Ah oui… Prenez le prochain corridor à gauche, puis les ascenseurs jusqu’au septième étage.

En entrant dans la chambre, elle voit son professeur allongé dans le lit, la figure pleine de contusions et de points de suture. Un énorme pansement lui couvre l’abdomen. Sur une chaise, à sa gauche, est assise une femme d’un certain âge qu’elle devine être son épouse. Elle lui tend la main et se présente.

- Hi, I’m Delilah, your husband’s masters student. What happened to him ?

- He was assaulted and got his car stolen as he was looking for a prostitute on Ontario. Needless to say I’m getting a divorce as soon as he gets out of here.

Delilah, estomaquée, ne sait que répondre à cette pauvre femme. Elle se tait, et son interlocutrice reprend en lui tendant un petit objet :

- The university called. Here’s the key to his office. Now if you’ll leave us…

- Of course.

Delilah quitte la chambre, pleine de sentiments contradictoires.

* * *

- Est-ce que je peux parler à Francis s’il-vous-plaît, dit Delilah.

- Oué, un instant mamzelle. FRANCIS!!! C’est ton anglaise au téléphone, crie Steeve en couvrant à peine le combiné.

Delilah rougit à l’autre bout du fil en songeant que son accent l’a trahie. Francis, de son côté, prend une bonne inspiration avant de décrocher.

- Delilah ? dit-il, la voix remplie d’espoir.

- Oui, c’est moi…

- Comment ça va ?

- Écoute, Francis, je ne veux pas passer par les quatre chemins pour te dire ce que je veux dire.

- Je t’écoute, répond-il, charmé par son français approximatif.

- Mon directeur de mémoire est à l’hôpital pour un temps indéterminé et la faculté m’a demandé de le remplacer pour le reste de la session. Et, if I’m not mistaken, tu es encore inscrit à ce cours.

- Cool, ça veut dire qu’on va passer plus de temps ensemble, dit-il, la voix pleine de sous-entendus.

- Non, Francis, ça veut dire que je suis à nouveau en position d’autorité par rapport à toi et qu’on ne peut pas recommencer à se voir. Je… (sa voix se brisa) I’m really upset about this turn of events. I’ll see you next week…

Francis raccroche rageusement en ravalant ses larmes. La grosse face niaise et surexcitée de Steeve s’insère dans l’entrebâillement de la porte. « Pis ? »


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