Aller au contenu

Flagrant délit de tendresse

ÉPISODE 14
« Il y a un but, mais pas de chemin ; ce que nous nommons chemin est hésitation. »
Franz Kafka

Depuis qu’Elle a lu la lettre de Richard, Elle est perdue et frustrée. Toutes les promesses qu’il lui avait faites se sont envolées avec le pigeon voyageur. Richard s’est avéré un patient à risque pour les crises cardiaques ; il ne peut donc plus prendre les miraculeuses pilules bleues qui l’avaient transformé en dieu du sexe. Son bel étudiant est distant. Elle ne le croise plus dans les couloirs, seulement dans les aléas de ses songes. Elle ne sait plus comment l’oublier… Comment oublier la ferveur, la passion, l’a… l’amour ?

-Elle avait suivi le conseil d’Emma et s’était forcée à se rendre au speed dating organisé par des étudiants désespérément amoureux qui voulaient offrir aux âmes perdues l’opportunité de trouver un point à leur « i », une virgule à leur point virgule, un soupçon de tendresse dans le gris inconsolable du mois de janvier.

-How was the speed dating ? Oh, right, il faut parler français. Je dois pratiquer pour impressionner mon amant parisien, Guillaume.

(clin d’oeil et sourire en coin)

-Euh, j’ai rencontré un gars qui étudie en éducation physique. Même si je ne veux pas généraliser en disant que personne ne lit aujourd’hui, sauf les étudiants en Arts, quand je lui ai demandé ce qu’il aimait lire, il m’a répondu « la circulaire de Canadian Tire, et des magazines de moto ».

-(Éclat de rire) Il n’y avait personne qui t’intéressait plus que ça ?

-Si on exclut M. Publisac, l’organisatrice m’a regardé tout le long en souriant. Elle m’a dit à la fin de la soirée qu’elle me trouvait belle.

-Honey, I know you’re disappointed in men right now, but I really don’t think looking to women for consolation is the answer.

-I suppose, but she…

-I don’t mean to be reductive or vulgar, but you do know that women don’t have quite what you’re looking for…

Elle n’aurait su mieux verbaliser sa pensée. À la fin de la soirée speed dating, Annie l’avait approchée et lui avait dit : « Tu dégages quelque chose de séduisant. Si tu m’en donnes la chance, je te promets que je te ferai oublier tous les hommes de ton passé avec un simple coup de ma langue. »

Intriguée, Elle avait accepté de rejoindre Annie au Drugstore, un bar de lesbiennes sur Sainte-Catherine, pour une soirée karaoké. Annie semblait parfaitement à l’aise parmi les jeunes femmes aux cheveux courts qui ne cessaient de les regarder comme de la viande fraîche. Malheureusement, la soirée karaoké avait viré soirée matante lorsqu’une vague de femmes dans la mi-quarantaine complètement ivres affichant un look banlieusard s’étaient mises à chanter.

Elle s’était réjouie de ne pas penser à Lui pendant la soirée, mais même si Annie avait le regard sulfureux d’une amante d’exception, Elle cherchait partout le noir des yeux du sosie d’Ovila. Elle se sentait mal à l’idée de faire croire à cette charmante jeune dame qu’Elle pourrait en être amoureuse. Peut-être que sa pudeur la privait de vivre une histoire d’amour avec une femme, ou peut-être qu’Elle était amoureuse de Lui… Il lui fallait réfléchir à ces propos. Annie l’avait invitée dans son lit pour un bref moment d’amour, en précisant qu’elle employait le terme « bref » au sens lesbien du terme où il signifie « au moins quelques heures ». Difficile de résister, et why not ? Quand Annie la caressa et lui apposa un tendre baiser à la commissure des lèvres, Elle faillit remettre sa sexualité en question, mais la torpeur de son bel étudiant lui était impossible à oublier. 


Articles en lien