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Tu me prends pour un twit ?

C’est en direct du pays des Huileux*, du boeuf Angus AAA et du plus grand stationnement de l’univers connu (oui, oui, pas de farce!) que je vous écris ces lignes. Vous n’avez pas deviné ? Un indice : *l’astérisque se traduit par Oilers… Eh oui, c’est d’une indistincte banlieue Edmontonienne plutôt Boulevard- Taschereau-esque que je pense à vous cette semaine, chers lecteurs déliites. Le Délit y a été convié pour la conférence nationale de la Canadian University Press, qui rassemble à chaque année quelques centaines d’aspirants journalistes d’ad mari usque ad mare.

À voir la quantité abyssale de Tweet (à prononcer « twouite » et non pas « twit », comme je l’ai d’abord naïvement cru – mais quand même, quelle expression moche!) qui s’échange sans arrêt lorsque autant d’apprentis reporters sont réunis, je me questionne de plus en plus sur la pertinence du journalisme à l’ère de l’instantanéité. Honnêtement, a‑t-on vraiment besoin de tout savoir au moment même où ça se passe ? Prenons un exemple flagrant : n’avez-vous pas vu poindre un certain malaise en votre fort intérieur lorsque des hordes de reporters ont débarqué à Haïti avant les secours ?

On peut soulever bon nombre d’objections à la présence hâtive des journalistes sur le lieu d’une catastrophe humanitaire : ils utilisent des ressources qui pourraient être destinées aux victimes, ils capitalisent sur la misère pour hausser leurs cotes d’écoutes, ils sensationnalisent une situation complexe en l’objectivant en clips formatés de trois minutes, ils tourneront rapidement leur regard ailleurs alors que les Haïtiens resteront aux prises avec les conséquences directes de ce séisme pour encore des mois, voire des années… et quoi d’autre encore ?

Certains remettent carrément en question la présence de journalistes sur les lieux ; je ne crois pas qu’il faille aller jusque là. Plus on en sait sur une situation et mieux on est apte à réagir en conséquence, ne serait- ce qu’en donnant généreusement à un organisme, parce que tous ces détails et ces images catalysent notre empathie pour les victimes.

Au fond, la raison d’être des médias n’est-elle pas de collecter, d’analyser et de communiquer des informations qui nous permettent de mieux comprendre (et éventuellement d’agir sur) le chaos dans lequel nous évoluons ? Pour y arriver, toutefois, les médias doivent résister à ce glissement de l’information vers l’infospectacle et le voyeurisme –une tendance que les nouvelles technologies n’ont fait qu’accélérer.

Comme en témoigne l’article de Marie- Lise Drapeau-Bisson sur le centenaire du Devoir (à lire en p. 4), il est possible pour un média d’information d’avoir du succès tout en maintenant de hauts standards de qualité et d’intégrité. Et ce, même si c’est parfois aux dépens du sex appeal qui fait vendre de la copie. La longévité du Devoir doit sûrement beaucoup à son indéfectible détermination à miser sur l’analyse, la recherche, la profondeur. À sa persistance à considérer ses lecteurs comme des personnes dotées d’intelligence et de jugement. Et à son engagement à mettre l’information au service des citoyens, plutôt que les médias aux services de l’information.

@ledevoir : quand on sera grand on veut être comme vous. #wetdreams


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