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Des voitures vertes et des pas mûres

Les experts plantent le mythe de la voiture verte. 

L’auto verte est un concept qui gagne en popularité depuis quelques décennies. Cela dit, la question se pose de savoir s’il s’agit d’un projet vraiment réalisable, ou s’il serait mieux de remettre en question la voiture individuelle. Ce sont les enjeux qui réunissaient, le 18 février dernier, à l’Agora du Cœur des sciences de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), un panel d’experts. Ainsi, Florence Junca-Adenot, professeure associée au Département d’études urbaines et touristiques de l’UQÀM et ancienne présidente-directrice générale de l’Agence métropolitaine de transport (AMT),  Louis-Gilles Francoeur, journaliste expert en environnement au Devoir, et Philippe Terrier, chargé de cours à l’École de technologie supérieure (ÉTS), se livraient à un débat intitulé « L’auto verte, un mythe ».

« L’auto verte, je crois tout simplement que ça n’existe pas », affirme d’entrée de jeu Louis-Gilles Francoeur. Par exemple, une transition complète vers l’auto électrique pourrait nécessiter la construction de nouvelles centrales hydro-électriques, ce qui nuirait à la biodiversité : « Il y a toujours une empreinte écologique », explique-t-il. Selon Florence Junca-Adenot, le mythe de l’auto verte consiste à penser que l’on va « tout sauver avec des véhicules qui consomment moins ; [l’augmentation des autos] marche dans le sens inverse de la qualité de vie urbaine ». Les routes dont non seulement déjà saturées de voitures, mais la production de chaque nouvelle voiture contribue au réchauffement climatique. Selon le professeur Ahmed El-Geneidy, spécialiste en transport collectif à l’École d’urbanisme de McGill, « la plus grande portion de pollution produite par les autos est créée pendant leur fabrication ». Réduire les autos et se tourner vers le transport collectif semble alors être la réponse évidente au problème de la pollution reliée à nos déplacements. Malheureusement, selon M. Francoeur, « l’auto est perçue comme un droit, mais ce n’est pas un droit, c’est un privilège ». Les obstacles au transport écologique ne sont donc pas purement technologiques, mais aussi humains et économiques.

Des plans de conception d’automobiles plus vertes « dorment sur des tablettes depuis des décennies », déplore le journaliste. Cependant, les compagnies n’ont pas pour l’instant intérêt à vendre dès aujourd’hui des autos plus petites et plus efficaces : cela réduirait les ventes de tôle et d’essence. C’est l’auto de demain qui sera verte. Le lendemain est toujours repoussé au surlendemain. Cela dit, des technologies vertes—ou verdâtres—existent actuellement, et plusieurs autres sont en développement. Évidemment, « si on pouvait se passer de l’automobile, ce serait la solution la plus propre », plaisante Philippe Terrier. Pour le chargé de cours à l’ÉTS, la question n’est pas tant de savoir si l’auto verte existe, mais si elle est durable, c’est-à-dire socialement responsable, économiquement viable, et conçue en fonction des ressources disponibles. La durabilité infinie est un mythe : « La seule énergie renouvelable à la base de tout, c’est le soleil », affirme-t-il. Certaines énergies seraient renouvelables si on les consommait moins, ajoute M. Terrier. La disponibilité des ressources dépend du nombre d’années visé, ainsi que du nombre de conducteurs et du type d’utilisation qu’on fait de la voiture. Dans la majorité des cas, une voiture électrique pure est impossible.

Quelles sont donc ces technologies actuellement à notre disposition qui rendraient l’automobile radicalement plus verte ? Les options se trouvent dans les moteurs hybrides série, le biodiesel algal, les filtres à particules, l’aluminium recyclé, la conception aérodynamique, les roues intelligentes, et les pneus à faible résistance. « Personne n’intègre tout cela », regrette M. Terrier. Beaucoup de recherche se fait actuellement dans le domaine des batteries, le prototype le plus récent étant un amalgame de lithium, fer et phosphate. Le problème avec les piles, soutient M. Francoeur, est que nous aurions besoin de très grosses piles pour maintenir notre niveau d’indépendance. Des projets comme Better Place, un concept de station-service avec rechargement ou échange de batteries, coûteraient extrêmement cher aux grandes villes. Selon le journaliste, la meilleure solution à court terme serait l’auto hybride « branchable » avec un système de génératrice en appoint—ce modèle, totalement vert pour les courts déplacements, entrerait sur le marché dans deux ans.

Un intervenant dans la salle a cependant rappelé que la voiture électrique « écolo » est un concept québécois, puisque certains pays produisent leur électricité au charbon. Du côté des biocarburants, le biocarburant algal, c’est-à-dire provenant des algues, constitue la meilleure solution d’après M. Terrier. La cellulose et l’éthanol, quant à eux, sont des « mirages technologiques », selon M. Francoeur. Ces deux carburants, soutenus par les lobbys industriels, proviennent de la transformation des déchets, une pratique qui n’encourage pas la réduction de déchets et qui est beaucoup moins rentable du point de vue énergétique que l’est le recyclage. Pourquoi alors faire leur promotion ? M. El-Geneidy rappelle que l’auto verte n’est pas uniquement une réponse aux changements climatiques, mais aussi « une réponse au manque de pétrole ».

Selon Mme Junca-Adenot, entre 1998 et 2003, la population montréalaise a augmenté de 3 p. cent et le nombre de voitures, de 11 p. cent, période durant laquelle la promotion pour le transport en commun à l’AMT a été la plus forte. L’usage de ce système collectif avait pourtant plafonné à 20 p. cent. Pour la professeure, le transport vert n’est pas une énigme : « Les technologies vertes sont disponibles depuis l’invention de l’auto », dit-elle en faisant référence aux tramways. La réduction des voitures n’est pas non plus impossible : une seule voiture d’auto-partage éliminerait 8,5 voitures. Nous n’avons pas réellement besoin d’une auto individuelle en tout temps, surtout pas en ville. En fait, l’automobile a créé « un problème de société ». Beaucoup trop de gens habitent et travaillent dans deux villes éloignées l’une de l’autre et doivent parcourir de grandes distances quotidiennement.

Si les émissions des automobiles contribuent au réchauffement planétaire, Mme Junca-Adenot nous rappelle également que plus nous avons de routes et de stationnements, plus nous avons ce que l’on nomme des « îlots de chaleur » causés par ces grandes surfaces en béton et en asphalte. Pour contrer ce phénomène, il faut verdir les villes en réduisant le nombre de voitures et de routes. Mais est-ce un projet possible ? Comment décourager l’utilisation des voitures en ville ? « Il faut avoir le courage politique de punir, de taxer. Ce n’est pas une question d’argent, c’est une question d’attitude », affirme la spécialiste. Selon la professeure, il faut faire payer pour freiner et renverser la tendance, pour ensuite pouvoir repenser la ville et aménager autrement l’espace urbain. Avant l’auto, les villes étaient structurées de façon efficace. « On a dérapé au cours des quarante dernières années », explique-elle. Non seulement les villes sont « déstructurées », les piétons et les cyclistes sont de plus en plus en danger sur les routes. Une foule de moyens ont été suggérés par les personnes présentes au débat pour réduire le nombre d’autos polluantes ainsi que les déplacements inutiles. Cependant, la ruée générale vers les métros et les trains n’est pas une option possible en ce moment. « Avant d’accroître le coût des stationnements pour punir les automobilistes, il faut améliorer le transport en commun de façon draconienne », explique M. El-Geneidy. « Nous devons fournir une alternative compétitive aux automobiles en améliorant la technologie, en réduisant le temps d’attente et en accroissant la rapidité. En ce moment, le transport en commun n’est pas fiable », ajoute-t-il. Le professeur ne croit pas non plus que Montréal pourrait être reconstruite de sitôt ou que les voitures pourraient disparaître. Il y aura toujours de la circulation entre les grandes villes et les banlieues, sans quoi un déclin économique surviendrait. Enfin, si l’auto verte semble être un mythe, elle constitue tout de même un idéal nécessaire.


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