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Enfin elle est

Les arts visuels sont encore une fois au cœur de la nouvelle chorégraphie de Louise Bédard, Enfin vous zestes. Cette nouvelle production s’inscrit dans le cycle Itinéraire multiple. Elle suit Elles, présenté en 2002 et intégrant des photographies de Tina Modotti, et Ce qu’il en reste, en 2005, inspiré des collages d’Hannah Höch. Louise Bédard cherche avant tout à faire découvrir le travail des créatrices, tout en plaçant le sien dans leur lignée. Comprises à travers cette référence, ses chorégraphies en tirent une puissance d’expression plus grande.

Dans Enfin vous zestes, les portraits de l’artiste canadienne d’origine hongroise Marianna Gartner ont alimenté la réflexion de Louise Bédard, qui en est à une vingtaine d’œuvres depuis la création de sa compagnie de danse en 1990. Pourtant, la peinture est absente de la scène où évoluent les six danseurs, exception faite des toiles tournées vers le mur du fond en guise de décor. Pour la chorégraphe, c’est « le mouvement [qui] fait office de couleur, sur un canevas qui est la scène ».

Pour la première fois dans le travail de Louise Bédard, la création est forgée en partie sur les improvisations des danseurs Tom Casey, Jean-François Déziel, Marie Claire Forté, Victoria May, Ken Roy et Sarah Williams. Cette méthode a naturellement découlé du thème de la découverte de soi. Autant en danse qu’en peinture, il s’agit pour la chorégraphe de saisir en instantanés la singularité de chacun, de la fixer par un mouvement ou par un trait de pinceau. Ainsi, Gartner s’inspire de photos d’archives pour réaliser des portraits hyperréalistes. Sous le vernis de la ressemblance, ses sujets laissent entrevoir une étrange complexité, un côté sombre.

Louise Bédard s’est donc intéressée à ce qu’ont révélé d’eux-mêmes ces danseurs. Ils entrent en scène enveloppés de longs imperméables beiges et uniformes qu’ils délaissent au fur et à mesure que la pièce avance, découvrant leur couleur propre dans le plus simple appareil. Utilisant également la superposition des six voix à quelques moments de grande intensité, les danseurs demandent au public s’il veut les prendre en photo, comme pour achever de les mettre à nu. Traçant l’un après l’autre des carrés sur le plancher, ils créent dès le début un espace où s’encadrer eux-mêmes. On assiste à un moment d’une grande beauté lorsque certains d’entre eux enveloppent de leurs membres les toiles posées sur la scène.

Les six danseurs d’Enfin vous zestes s’avèrent véritablement maîtres de leur art, ensemble ou en solo. Leurs gestes, à la fois flous et précis, « généreux et obsessionnels », comme le dit Louise Bédard, témoignent avec poésie et humour de la fragilité des êtres.

C’est ce que suggère aussi l’environnement sonore, à la fois vaporeux et inquiétant, créé en direct par la bruitiste Diane Labrosse. À la toute fin, on assiste à la mort figurée d’un danseur, qui renaît dans la brindille que tient entre ses mains une de ses partenaires de scène. C’est par l’usage d’accessoires comme la brindille, ou encore des objets intimes comme la peluche, que Louise Bédard transmet sa vision de l’être d’aujourd’hui, toujours prêt à s’envoler et à se détacher du réel.

Enfin vous zestes, certes, mais être quoi, exactement ? C’est la question que nous lègue, au terme de la représentation, l’une des grandes chorégraphes de son temps.


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