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Transport étudiant gratuit : Sherbrooke fait boule de neige

En 2004, l’Université de Sherbrooke a lancé une petite révolution en décidant d’offrir le transport en commun gratuit à tous ses étudiants. On se questionne actuellement sur la possibilité d’exporter l’expérience à Montréal.

Il y a bientôt presque quatre ans, l’Université de Sherbrooke s’est trouvée dans une impasse : la saturation de son parc de stationnement l’obligeait à investir des sommes importantes afin d’aménager de nouveaux espaces pour garer les véhicules qui faisaient déjà de la circulation automobile un casse-tête dans la ville estrienne. Le recteur de l’université, Bruno-Marie Béchard, décide alors de poser un geste audacieux : il accorde un laissez-passer gratuit pour le transport public à tous les étudiants, en tout temps et sur tous les circuits.

« On a empêché des dépenses immenses », soutient Marc Huot, officier responsable de la section stationnement et transport durable à l’Université de Sherbrooke. Ainsi, bien que la nouvelle politique ait coûté 850 000$ à l’université au moment de son entrée en vigueur, l’opération s’est avérée rentable par rapport aux dépenses qu’aurait exigé le développement du parc de stationnement, poursuit Marc Huot.

Alain Webster, vice-recteur à l’administration et au développement durable, précise dans une entrevue accordée au journal Le Soleil que « sans cette initiative, l’université aurait dû débourser de fortes sommes pour aménager des stationnements souterrains, construire de nouvelles résidences d’étudiants, déboiser de grands secteurs pour d’autres stationnements. Chaque case de stationnement souterrain aurait coûté entre 30 000 et 40 000$».

Impacts mesurables
La solution choisie par l’Université de Sherbrooke s’avère efficace. Quelques mois à peine après l’implantation de la mesure, à la fin de la session d’automne 2004, 15 p. cent des vignettes de stationnement sont restées invendues. Aujourd’hui, avec la diminution de la demande, « on se prépare à réduire les places de stationnement », avance même Marc Huot.

De plus, avec environ 2000 voitures de moins sur le campus, on estime à 43 p. cent la diminution de l’émission des gaz à effet de serre produits —de 8000 à 10 000 tonnes, selon Alain Webster— par les étudiants. L’achalandage dans les autobus a bondi de 125 p. cent à l’heure de pointe du matin, ce qui a forcé la Société de transport de Sherbrooke (STS) à accroître son service et à procéder à la construction d’un terminus sur le campus.

« La gratuité du transport en commun avantage tout le monde », souligne le président de la Fédération  étudiante de l’Université de Sherbrooke, Nicolas Rousseau.  « La STS reçoit un montant fixe, l’université gagne de la visibilité, le parc de stationnement est réduit et demande moins de rénovations », précise-t-il.  De plus, « ça permet aux étudiants d’avoir des logements moins chers plus loin de l’université ». En effet, l’accessibilité accrue au transport public a permis de désengorger le « ghetto  étudiant » autour de l’Université de Sherbrooke et a amené les étudiants à se loger à moindre coût dans des secteurs plus éloignés de la ville.

En 2007, la STS a reçu environ 900 000$ de la part de l’Université de Sherbrooke afin de compenser les pertes encourues par la gratuité du transport en commun pour ses étudiants. La moitié de ce montant a été recueillie grâce à une hausse de 19$ par trimestre des vignettes de stationnement. Le reste provient de commanditaires.

Exportable ?
Rapidement, la politique de transport de l’Université de Sherbrooke a eu des échos dans le reste du Québec. Le Cégep de Sherbrooke a emboîté le pas il y a moins d’un an en offrant le transport gratuit à ses étudiants en échange d’une augmentation de 50$ des frais divers par session. Il en coûterait autrement 45$ pour un étudiant de moins de 21 ans et 57$ pour un étudiant de plus de 21 ans pour un laissez-passer mensuel.

L’initiative de l’Université de Sherbrooke a suscité un intérêt marqué chez les étudiants de l’Université du Québec en Outaouais (UQO) et de l’Université Laval. Ces derniers n’ont cependant pas réussi à s’entendre avec leurs administrations respectives afin de financer la gratuité du transport public.  Cependant, tous bénéficient maintenant de tarifs plus avantageux, qu’il s’agisse du forfait Cam-puce UQO à Gatineau, un rabais de 175$ par trimestre, ou du rabais de 10 p. cent pour les étudiants universitaires de la vieille capitale. L’Université Laval, qui cumule un déficit de 120 millions $, a indiqué qu’elle prioriserait l’enseignement et la recherche plutôt que la gratuité du transport étudiant.

L’exception montréalaise
La grande diversité et le nombre important d’usagers des transports en commun à Montréal font de l’implantation d’un tarif gratuit pour les étudiants une question complexe. Alors que ces derniers composent plus de 60 p. cent des clients de la Société de transport de Sherbrooke, ils sont minoritaires à Montréal. En effet, selon le Budget 2008 de la Société de transport de Montréal (STM), les CAM au tarif réduit —aussi offertes aux enfants âgés de six à onze ans, aux écoliers âgés de 12 à 18 ans et aux personnes âgées de 65 ans et plus— ont représenté moins de 42 p. cent des titres mensuels vendus l’année dernière.

Pour Richard Bergeron, chef du parti politique municipal Projet Montréal, cela représente un obstacle à la création d’ententes particulières entre la STM et les étudiants : « Dans une ville aussi diversifiée que Montréal, il est difficile de favoriser un groupe en particulier ».  « Pourquoi les assistés sociaux, les travailleurs au salaire minimum ou les immigrants sans statut légal qui vivent tous des situations difficiles n’auraient-ils pas droit aussi à une réduction de tarif ? »,  ajoute l’ancien responsable des analyses stratégiques à l’Agence métropolitaine de transport.

À moins de mesures par lesquelles les universités montréalaises autofinanceraient le transport de leurs étudiants, Projet Montréal privilégierait davantage une approche universelle en réduisant le tarif de la CAM ou en mettant en place un service de transport gratuit au centre-ville, comme cela se fait de façon similaire à Calgary, Denver, Détroit ou Portland.

Analyse : Impact réel ?
Quel impact aurait l’implantation du transport étudiant gratuit à Montréal ? Les quatre universités de la métropole possèdent leur station de métro, moyen de transport largement plébiscité par les étudiants. D’ailleurs, McGill, au cœur du centre-ville, s’avère plus difficile d’accès en voiture en raison de la circulation dense et de l’absence de stationnements abordables. Le prix d’une place sur le campus s’élève habituellement à plus de 400$ par session.

Le principal avantage d’une telle mesure serait plus de nature économique qu’environnementale.  L’accès au transport gratuit pour les étudiants de l’Université McGill encouragerait peut-être ceux-ci, comme les étudiants de Sherbrooke, à délaisser la périphérie de l’université pour se tourner vers des logements plus abordables loin du centre-ville.

Reste que l’expérience de Sherbrooke a démontré que la réaction citoyenne est immédiate lorsqu’on diminue les tarifs du transport public, un élément qui devrait être pris en compte si Québec veut atteindre l’objectif qu’il s’est fixé dans son plan de lutte aux changements climatiques 2008–2012 : augmenter de 8 p. cent le nombre de trajets effectués au Québec grâce au transport en commun.


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