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Delhi violée par le bus

Puisque Le Délit de cette semaine porte les couleurs de l’Asie, il m’a été suggéré de suivre le mouvement. La tâche qui m’incombe est donc de produire un propos exotique, un tant soit peu dépaysant, quelque chose qui fasse rêver, voyager, s’échapper. Je prends donc ma créativité à deux mains et… eh bien, je décide de parler d’autobus.

Le transport ne fait jamais l’unanimité dans une ville. Quiconque a déjà pesté contre les retards et l’inefficacité de la Société de transport de Montréal sait de quoi il retourne. Cela dit, ce n’est là rien de comparable aux ardeurs qui agitent en ce moment les Delhiites (à ne pas confondre avec nous, les déliites).  Le mois dernier a vu éclater dans la ville indienne un déchaînement médiatique qui décoiffe fortement. Une polémique féroce a parcouru la presse avec pour porte-voix des journaux influents tels que The Pioneer et le Times of India. Les accusations ont fusé en tous sens. De « cauchemar » à « viol collectif » —sans mentionner une liste appétissante d’insultes intraduisibles—; les journalistes n’ont pas mâché leurs mots.

La raison de ce déploiement de haine ? Le bus.

Cet acharnement a porté ses fruits, car si la première phase de construction du couloir de bus de Delhi est en route, elle ne l’est plus pour longtemps. La force des attaques était telle qu’il a été décidé, en février dernier, de suspendre la construction des prochaines étapes du projet. Alors que le Québec chante « il fait beau dans le métro et l’autobus », il faut croire que l’Inde ne se laisse pas bercer aussi facilement.

Le système de transport rapide est mieux connu sous le nom anglais de Bus Rapid Transit (BRT). Le BRT est un couloir réservé aux bus dont le concept repose sur la séparation des véhicules. Le principe est simple ; l’application, un casse-tête. Le BRT est populaire dans les pays en voie de développement en raison de sa capacité (théorique) à augmenter l’efficacité du transport collectif et à diminuer la congestion, le tout à faible coût. Madhav Badami, professeur de McGill actuellement à Delhi, s’est efforcé de contenir la vague d’animosité, mettant de l’avant les avantages du BRT, qui se veut une solution à long terme pour décourager l’usage de l’automobile et permettre un accès équitable au transport, dans l’optique d’un meilleur contexte pour les piétons et de la préservation de l’environnement.

Pourtant, les couloirs de bus sont rarement accueillis à bras ouverts et leur mise en place s’accompagne souvent d’un sentiment de destruction de la trame urbaine. La construction du Transmilenio de Bogota avait elle aussi suscité une salve de critiques. La mauvaise foi, malheureusement, domine un discours autrement nécessaire. Les journalistes s’insurgent de la destruction des espaces verts et du paysage urbain, ainsi que de l’augmentation d’accidents, qu’ils attribuent en toute mauvaise foi au système BRT. Certains vont même jusqu’à dire que le peuple indien est si mal discipliné que l’on ne peut s’attendre qu’à une augmentation du désordre général.

Si toute réforme prenait en compte l’indiscipline des citoyens, on n’aurait déjà plus de passages piétons à Montréal et personne ne chanterait dans le métro.


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