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Le prince du Kremlin

En à peine 8 ans, Vladimir Poutine, le taciturne ex-colonel du KGB, a réussi à conquérir le coeur des Russes. Et à inquiéter l’Occident. Pensait-on s’en débarrasser dès l’an prochain ? Que nenni, car il a plus d’un tour dans son sac : Machiavel serait fier de son disciple russe ! Portrait.

D’abord total inconnu en politique russe lors de sa nomination au poste de premier ministre en 1999, Poutine devient vite président par intérim, puis est une première fois élu en 2000. Après une victoire électorale en 2003 et sa réélection en 2004, il a désormais le champ libre pour appliquer son ’’plan’’, qui lui permettrait de rester au pouvoir. 

« Le plan de Poutine, la victoire de la Russie », proclamait la banderole suspendue dans la salle de Gostiny Dvor le 1er octobre dernier, lors du congrès du parti pro-présidentiel Russie unie. C’est à cette occasion que Poutine, invité d’honneur et sans parti, accepta candidement de prendre la tête de la liste des candidats du parti et devint ainsi favori pour les élections législatives du 2 décembre prochain. Si le parti Russie unie remporte les élections, Poutine deviendra premier ministre, alors qu’il est actuellement président. Habile stratège, Poutine se devait d’opter pour ce nouveau poste puisque, de par la constitution russe, le président ne peut être élu pour un troisième mandat consécutif. 

À cette occasion, Poutine a posé une condition à son acceptation du poste que lui propose Russie unie : l’élection, en 2008, d’un président « honnête, effi cace, moderne, avec [lequel] il sera possible de travailler en tandem ». À comprendre : malléable et docile, afi n que le pouvoir passe des mains du président à celles du premier ministre, de ses propres mains à ses propres mains ! Et puis, rien ne l’empêche de se présenter pour la présidentielle de 2012 ! Comme quoi on peut désormais parler d’une véritable « ère Poutine », qui pourrait n’en être qu’à ses débuts. 

Comment a‑t-il fait ?

Poutine a tranquillement installé son système et ses hommes de confi ance après s’être assuré du contrôle de la Douma, le parlement russe. Il a centralisé la Russie en créant sept grands districts fédéraux et en nommant les gouverneurs de ces districts, qui étaient autrefois élus. De plus, il a consolidé sa capacité d’intervention militaire directe en coordonnant les siloviki, qui sont des unités de l’armée liées aux services secrets et au ministère de l’Intérieur. Des fi dèles, anciens de l’administration leningradoise-péterbourgeoise (dont il est issu), et des militaires ont été nommés aux postes-clés du gouvernement et de la compagnie Gazprom. C’est ce géant de l’énergie qui fournit une réserve d’argent inépuisable pour le fi nancement des projets du Kremlin. 

L’immense popularité de Poutine lui permet de manigancer les mains libres puisque ses cotes de popularité sont astronomiques : 70–80 % d’approbation, de quoi faire pâlir d’envie nos politiciens. En fait, 70 % des Russes disent carrément vouloir qu’il reste en poste, même si cela constitue une violation de la Constitution. Ainsi, les partis le supportant (il veut cependant rester non partisan) remporteront non seulement vraisemblablement les élections, mais encore le candidat que Poutine souhaitera avoir comme ‘‘dirigeant’’ et qu’il conseillera au public sera celui que le peuple choisira comme président. 

L’amour d’un peuple

L’Occident craint et critique Poutine tout à la fois. On lui reproche, sur le plan intérieur, ses tendances autoritaires et, sur le plan extérieur, ses relations avec l’Iran et ses prétentions impériales. Pourtant, chez lui, les critiques sont rares, et même s’il est vrai que les opposants sont harcelés et les médias plus ou moins libres, il est indéniable que l’homme de la rue est derrière lui. Pourquoi donc Poutine est-il tant aimé en Russie ? 

Il faut avouer qu’il est de loin le meilleur meneur que le pays ait eu depuis la chute du régime tsariste. L’élan révolutionnaire de Lénine, la répression sanglante et aveugle de Staline, le réformisme bancal de Khrouchtchev, le conservatisme de Brejnev, l’indécision d’Antropov, les contradictions catastrophiques de Gorbatchev et la molesse d’Eltsine, voilà ce qui a régné sur l’Union soviétique/Russie depuis 1917. Poutine a réussi ce que le peuple attendait depuis longtemps : assurer une certaine stabilité, mettre le pays sur la voie de la prospérité et finalement lui redonner sa fierté nationale et internationale. Et pour le reste, les journalistes, les opposants, les Tchétchènes, cela ne pèse pas lourd dans la balance, après ce qu’a vécu le peuple russe au cours du 20e siècle. 

Dès le début, Poutine s’est positionné comme défenseur de la Russie indivisible en s’attaquant littéralement au séparatisme tchétchène, profi tant adroitement au passage des attentats terroristes et de la tragédie de Beslan (prise d’otage sanglante par des terroristes tchétchènes au Daghestan). Certaines sources des services spéciaux russes parlent de mises en scène d’attentats terroristes contre des immeubles moscovites pour aider à justifi er la politique tchétchène de Poutine. 

Ce qui plaît aux Russes, c’est non seulement la réussite économique russe des dernières années et l’émergence d’une société de consommation, mais aussi l’esprit de confrontation vis-à-vis l’Ouest en politique internationale. Poutine a réussi à affronter et à briser partiellement les oligarchies tant honnies par le peuple d’une part et à réaffi rmer la position de superpuissance de la Russie de l’autre. Ainsi, Khodorkovski et les autres géants du pétrole furent écartés au profit de la compagnie étatique Gazprom, véritable vache à lait du gouvernement. 

Le nouvel anti-occidentalisme russe

Sur la scène mondiale, Vladimir Poutine a décidé que les États-Unis et l’Europe n’étaient plus les seuls maîtres à bord et que la Russie avait son mot à dire sur tout ce qui se passait en Europe de l’Est, en Asie centrale et ailleurs. De là les revendications russes par rapport à la politique ukrainienne et biélorusse, au Kosovo, au bouclier antimissile, au contrôle de l’Arctique, à la présence américaine en Asie centrale, à la Géorgie, etc.. Bref, la Russie ne se fera plus damer le pion : le grand ours eurasien est de retour et il grogne ! Et le peuple applaudit, car il en a marre des courbettes devant l’Occident ‘‘supérieur’’. Pouchkine le disait déjà jadis : « J’abhorre mon pays, mais je déteste quand des étrangers le critique ». Les Russes ne veulent plus écouter nos leçons et feraient plutôt le contraire par esprit de contradiction. La logique de l’heure : l’Ouest critique Poutine, vive Poutine ! 

Ainsi donc, les événements des prochains mois devraient confi rmer les craintes de l’Occident et satisfaire le peuple russe. Devenu premier ministre après les élections début décembre, Poutine devrait renoncer à son poste de président et nommer comme président par intérim le mystérieux Zoubkov, premier ministre depuis la mi-septembre. Une vaste campagne de médiatisation devrait s’ensuivre afi n de permettre la victoire du dauphin de Poutine pour les présidentielles de mars. Et voilà le chef‑d’oeuvre. Chapeau bas, camarade !


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